Interview: Lionel Froidure, globe-trotteur des arts martiaux sans concessions

A une époque où il devient de plus en plus courant d’être un théoricien des arts martiaux, bien plus qu’un pratiquant dont l’expérience se compte en litre de sueur, Lionel Froidure fait partie de ces adeptes entiers, infatigables et pragmatiques, ne comptant pas ses heures à fouler les tatamis. Fondateur Imagin’ Arts Tv et de la série TV En Terre Martiale, expert en Karaté Shotokan et Arnis Doblete Rapilon, Lionel est un aventurier qui n’hésite pas à aller au-delà de nos frontières pour alimenter son étude. En outre, il jalonne le globe chaque année pour s’immerger au cœur des cultures martiales et partager avec nous le fruit de ses découvertes.  

Professionnel, au planning chargé, nous nous sommes rencontrés il y a maintenant deux ans lors du tournage du DVD « études sur Yokomen » avec Léo Tamaki. A l’occasion de sa participation au stage d’Hino senseï dans le sud-ouest de la France l’an dernier, Lionel a gentiment accepté de répondre à quelques questions. Des montagnes sacrées de Wudang en passant par les Philippines, la Corée ou encore le Japon, il partage avec nous son expérience, ses rencontres avec nombre de maîtres du monde entier et nous éclaire sur nombre d’éléments souvent emprunt aux controverses en aïkido.   

 

Quand et comment as-tu débuté les arts martiaux? Quelles ont été tes motivations ?

On peut dire que je suis né dedans. Mon père a débuté les arts martiaux en 1969 et il a commencé à enseigner juste après ma naissance. Je suis donc quasiment né avec un karaté-gi. Durant mon enfance, je le suivais très régulièrement dans ses compétitions, démonstrations et cours. Malheureusement, à cette époque, les cours enfant n’étaient pas vraiment populaires, il y en avait donc peu dans les clubs. C’était vraiment le karaté de l’époque où les gens cherchaient à se confronter et à frapper. Ce n’était pas très accessible aux enfants. J’ai donc débuté le karaté à l’âge de six ans, vraiment très tranquillement parce que je participais aux cours adultes. L’année suivante, il y a eu quelques demandes pour les cours enfants. Mes deux parents, professeurs diplômés d’état, ont ouvert une section et à partir de l’âge de 7 ans j’ai intégré les cours enfants.

Ce n’est pas trop impressionnant de participer aux cours adultes si jeune?

En même temps j’avais six ans donc je ne comprenais pas grand chose. Il suffisait de faire comme dans les films que je regardais, c’était Burce Lee à l’époque. C’est à dire lever la jambe, faire un coup de poing et lorsque j’étais fatigué je m’asseyais pour regarder les adultes.

Quel souvenir gardes-tu de cette période? 

Un excellent souvenir. J’étais le seul petit du club. Tout le monde me regardait avec attention parce qu’ils savaient que j’étais le fils du prof, c’était génial. Mes parents ne m’ont pas du tout poussés à la pratique du karaté. C’est moi qui les bassiné pour apprendre. Au début, je montais sur le tatami avant les cours, après les cours, puis un jour on m’a dit « aller, vas-y, monte et t’essaye de suivre les débutants ».

Il n’y avait que du karaté au dojo où tes parents enseignaient?

À l’époque, nous pratiquions le karaté dans une salle privée de judo. Après il y a eu du Yoseikan Budo qui est venu se greffer dessus où Hiroo Mochizuki est venu quelques fois, et même Minoru Mochizuki. J’étais vraiment gamin et moi je n’y allais que pour les cours enfants. J’ai pratiqué que du karaté jusqu’à l’adolescence.

J’imagine donc que tu as pratiqué d’autres disciplines à partir de l’adolescence? 

À l’âge de mes quatorze ans, mes parents ont investi dans un dojo professionnel de mille mètre carré, comprenant huit disciplines différentes, qui est aujourd’hui devenu le Shaolin Toulouse. Il y avait trois surfaces de travail dont une en parquet, ce qui permettait d’accueillir du Karaté, du Taekwondo, du Kung Fu, du Nihon Taï Jitsu, du Tai Chi, du Full Contact. À cette époque j’ai commencé à m’entraîner pour rentrer en équipe de France parce que c’était mon désir absolu. Mais c’est aussi à partir de ce moment que j’ai commencé à m’interroger sur les autres disciplines car ils ne faisaient pas la même chose que moi mais ça avait l’air intéressant. De fil en aiguille,  je suis allé faire quelques cours d’essais, par si par là, pour revenir sur certains cours qui avaient retenu mon attention, là où j’avais une bonne accroche avec le senseï. Ça a débuté comme ça.

Quelles sont les disciplines que tu as découvert et qui ont retenu ton attention? 

Je pense avoir tout essayé, mais celles sur lesquelles je me suis vraiment arrêté au départ furent l’Aïkido et le Nihon Taï Jitsu. En particulier le Nihon Tai Jitsu car j’y retrouvais mes formes d’atemi, de keri, mais avec le côté des kansetsu waza donc des dislocations, ou encore les shime waza ou nage waza que je n’avais pas encore vu dans le karaté. Elles existent mais j’ai découvert cet aspect du karaté avec d’autres senseï. C’était donc un univers que j’ai découvert.

Au départ, je n’ai pas vu la relation entre le Karaté, l’Aïkido et le Nihon Tai Jitsu. Ce n’est que petit à petit que j’ai découvert cette relation, ces points communs. Mon maître d’arme Dani Faynot, arts martiaux philippins, dit souvent que les arts martiaux  sont comme des pièces de Lego. On joue avec une pièce, on la regarde dans tous les sens, on essaie de la comprendre, de l’observer, de voir à quoi elle peut bien servir. Après on va pratiquer d’autres arts martiaux où l’on découvre de nouvelles pièces de Lego. Petit à petit, on arrive à faire la liaison entre ces blocs et construire quelque chose qui nous est propre. Avec le temps, j’ai intégré des principes de ces disciplines dans ma pratique du karaté et découvert de nombreux principes communs.

Master Dani Faynot – 10e degré WADR et 6e dan FFKDA – Master instructeur monde de l’école Doblete Rapilon

 

Tu parlais de ton désir d’intégrer l’équipe de France durant ton adolescence. Quel était ton entrainement quotidien en vue de cet objectif ? 

Quand je suis arrivé à quatorze ans au Shaolin Toulouse, nous habitions à dix mètres du club. J’avais juste à pousser une porte pour entrer dans le dojo. J’arrivais de la périphérie de Toulouse, une banlieue très tranquille. Nous avons débarqué en plein centre ville où tout a changé pour moi, les copains, les sorties, mais surtout les arts martiaux. À partir de ce moment, j’ai vu que je pouvais m’entraîner tous les jours, du lundi au dimanche. Je m’entraînais non stop. Forcément mon cursus scolaire en a sévèrement subi les conséquences, et j’ai fini par redoubler ma quatrième.

Durant ma deuxième année de quatrième, je m’entraînais toujours autant donc mes parents m’ont dit, « ok, vu que tu n’as pas de bonnes notes on t’interdit d’aller t’entraîner ». Ça a été le châtiment ultime pour me remettre au travail. Je me suis mis à étudier pour avoir la moyenne. Je savais que c’était ce qu’ils désiraient donc je n’ai jamais cherché à avoir plus. J’avais la moyenne et je pouvais continuer à m’entraîner. J’allais au dojo deux à trois heures par jour et le weekend c’était variable.

L’année de mes seize ans fut l’année où j’ai pu participer pour la première fois au championnat de France. A l’époque, il n’y avait pas de championnat de France avant d’être en cadet. Je voulais intégrer l’équipe de France donc je m’entraînais avec les seniors, je combattais avec eux. Je m’entraînais en karaté trois heures tout les jours de la semaine. À côté je faisais de la préparation physique vu qu’une association de musculation avait intégré la structure du Shaolin Toulouse. J’étais donc allé voir l’enseignant pour lui demander des séances spécifiques afin de développer ma vitesse, mon explosivité et mon cardio. J’ai débuté les séances de cardio-training il y a plus de vingt cinq ans. Chose que l’on n’entendait quasiment pas parler à l’époque. Je prenais des hydrates de carbone que l’on retrouve aujourd’hui dans toutes les boissons énergétiques. À l’époque, seuls les pratiquants de musculation en prenaient et j’avais toujours avec moi un pot de poudre que je mélangeais à de l’eau. On me regardait bizarrement, surtout en compétition, car c’était quelque chose de méconnu alors qu’aujourd’hui c’est quelque chose de banal. À cette époque, je m’entraînais vraiment à outrance. Ma seul inquiétude était de ne pas pouvoir aller m’entraîner.

Tu as donc réussi à intégrer l’équipe de France ?

Dès ma première participation, j’ai fait vice-champion de France, ce qui était honorable. Ensuite, j’ai été convoqué pour un stage national afin d’intégrer l’équipe de France un mois et demi après, entre Noël et le premier de l’an. Cela tombait super bien car le stage avait lieu à Blois pendant les vacances scolaires. À notre arrivée sur place, on nous a annoncé : « Durant la semaine, vous êtes avec les numéros un, deux, trois, quatre et cinq, de chaque catégorie en compétition. Vous allez être jugé afin de définir la personne qui partira au prochain championnat d’Europe en février, au Portugal ». J’ai tout explosé et ils m’ont sélectionné. Je suis parti au championnat d’Europe. Ça a été une superbe expérience.

J’étais très préparé physiquement, mais j’étais jeune dans ma tête. J’ai toujours eu mon père derrière moi pour me coacher dans toutes les compétitions. Me retrouver là bas, sans lui, avec un entraîneur que je connaissais à peine m’a surement, avec le recul, bloqué. Je fais une demi-finale et termine cinquième, ce qui est pas mal parce que je suis au pied du podium, mais ce n’est franchement pas la meilleure place.

En aïkido, on porte très souvent un regard négatif sur  la compétition. Quel est ton point de vue sur l’apport du combat que ce soit à l’entrainement ou en compétition? Pour toi, est-ce nécessaire pour progresser ou peut-on en faire abstraction?  

En même temps je suis karatéka et je suis un combattant. Tu aurais posé la question à un technicien qui fait des championnats technique kata, il t’aurait dit que ce n’est peut-être pas nécessaire. Pour moi le combat c’est les arts martiaux. Après est-ce qu’on doit faire de la compétition, ça c’est à chacun de choisir. Personnellement je dirais que ça serait bien. Pas forcément de faire une carrière, ce qui est complètement différent, mais de monter sur un tatami ou un ring pour affronter un adversaire.

C’est une expérience qui apporte beaucoup. Déjà par rapport au stress et à sa gestion. On ne sait absolument pas ce que va faire notre adversaire même si on peut essayer de reproduire cet situation à l’entraînement. En cours, on a toujours des partenaires que l’on connait. On connait leur façon d’attaquer, leurs points forts et leurs faiblesses. Lorsque l’on se retrouve en compétition, on n’est pas forcément face à quelqu’un que l’on connait, le problème est là et il faut le résoudre. L’adversaire est une énigme et il faut la percer. L’avantage de combattre c’est qu’on va pouvoir développer certaines qualités comme le travail de sen no sen, de tai no sen, et de go no sen. Chose que l’on peut également travailler en club mais ça sera réfléchi, intellectualiser, ce ne sera pas du domaine de l’automatisation ou de l’intuition. En club, on ne va pas réagir par  rapport à une situation donnée, on va réfléchir à une situation. Or en combat on n’a pas le temps de réfléchir. Lorsque ça arrive il faut réagir et avec le temps, on apprend à passer ces barrières.

Au départ, on est surtout en go no sen, donc on subit. Par exemple, on essaie de profiter des ouvertures lorsque l’on en voit une, on essaie de placer une technique parce que quelqu’un s’absente ou reste figé dans son attaque. À cette étape, on va tirer partie des moments de faiblesse adverse. À l’étape suivante on va esquiver un petit peu plus, voir le mouvement partir un petit peu plus tôt et on va réagir plus vite. Et avec plus l’expérience, on va arriver au sen no sen voir au sen sen no sen et partir avant que son intention ne soit vraiment développée. Mais cela demande de la finesse de travail et en même temps un travail de mise en situation dans des conditions proches du réel, où l’on ne connait rien. Bien sûr, on peut le reproduire avec un partenaire au dojo où il va essayer de nous pousser un maximum dans nos retranchements mais on ne sera jamais dans de réelles conditions. Comme quand on parle de travailler la self-défense. C’est l’éternel débat, car travailler la self-défense c’est bien, mais ce ne sera jamais la self-défense d’une situation de rue car on ne sait jamais ce qui va se passer dans la rue. C’est exactement la même chose en combat. On fait face et on réagit.

Donc pour répondre à ta question,  est-ce qu’il faut faire de la compétition ? Je dirais oui parce qu’il faut développer ses qualités. Bien évidemment il ne faut pas le faire à outrance sinon on risque de se piéger dans un système réglementé ou alors il faut changer de système régulièrement pour changer de règles. C’est surtout une question que le pratiquant doit se poser. Est-ce qu’il veut vraiment avancer dans le côté sensation, le côté intuitif ? Si oui, il va devoir aller vers l’inconnu. Il faut faire travailler son cerveau reptilien et le combat aide.

« C’est surtout une question que le pratiquant doit se poser. Est-ce qu’il veut vraiment avancer dans le côté sensation, le côté intuitif ? Si oui, il va devoir aller vers l’inconnu. Il faut faire travailler son cerveau reptilien et le combat aide »

 

Tes parents étaient enseignants professionnels de karaté, quel été leur niveau d’exigence avec toi ?

J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours dit « si tu veux le faire, tu le fais ». Quand je faisais des bêtises, ils étaient plus sévères avec moi parce que j’étais leur fils. Mais je crois que pour tous les parents c’est la même chose. Je suis là où j’en suis grâce à eux. Ils ne m’ont jamais poussé plus que ça à pratiquer les arts martiaux. En réalité, c’est toujours moi qui m’imposais de faire plus. Des fois ils me disaient « il faudrait que tu t’arrêtes un peu Lionel, reposes toi ».

Mon père me laissait généralement faire, voyait où je voulais en venir et les moyens que je mettais en place pour y parvenir. Lorsqu’il voyait mes efforts, il m’aidait, il était un soutien et non un fardeau. J’étais toujours traité de la même façon, que ce soit lors des cours adultes ou enfants. Quand j’avais quatorze quinze ans, je faisais déjà les cours adultes, parce que j’avais déjà un bon gabarit. J’étais le jeune fils du prof, un enfant, donc les adultes faisaient attention à moi, ce qui m’énervait au plus haut point. Je leur disais toujours « vas-y frappe moi si tu peux, c’est comme ça que je vais apprendre ». Petit à petit mon père a vu que cela ne servait à rien de dire aux élèves de ralentir, car je leur demandais d’accélérer.

Aujourd’hui, tu es également enseignant professionnel de karaté. Quand as-tu pris la décision d’en faire ta profession? 

Dès l’âge de seize ans, j’ai commencé à aider ma mère qui donnait les cours aux enfants. Le mercredi après-midi et le samedi après-midi, je n’avais rien à faire donc quand je ne m’entrainais pas, j’étais encore sur le tatami. J’y allais et j’aidais les plus jeunes. Nous avions une bonne connexion parce que j’étais aussi un jeune, je suppose qu’il voyait un modèle. Je trouvais ça super de pouvoir partager ma passion. Après il y avait peut être un peu d’égo à l’époque, pour me valoriser, mais c’est vraiment une passion de transmettre. Quand je rentrais des stages de l’équipe de France, la première chose que je faisais c’était d’aller voir les copains avant le cours pour leur montrer ce que j’avais appris. J’avais cette envie de partager mes connaissances, ce que j’avais découvert, appris. Je voulais absolument partager quelque chose et ne rien garder pour moi. J’ai rapidement découvert que je voulais vivre ma vie sur le tatami.

Les débuts n’ont pas été trop difficiles? 

Si, c’est compliqué.  Ma mère m’a dit « ça ne sert à rien, nous on en vit à peine. Tu vivras avec peu d’argent, tu ne pourras pas faire beaucoup de choses. Crois nous, on vit ça depuis longtemps ». Mais moi ce que je voyais, c’est que je pourrais passer ma vie sur un tatami, à partager, m’entraîner, être avec mes copains du matin au soir. Le reste de la journée quand je ne m’entraînais pas j’étais tranquille. Pour moi c’était la vie de rêve. Donc à l’école je n’ai rien fait et on m’a envoyé en BEP. Finalement  j’ai obtenu mon BEP d’électro-technicien parce que c’était basé sur des maths et de la physique, deux matières où j’étais assez doué. Donc encore une fois, je n’étudiais pas vraiment. Quand j’ai eu mon BEP, j’avais dix huit ans, l’âge requis pour pouvoir intégrer les formations d’éducateur sportif du Ministère des Sports. Je n’attendais qu’une chose, avoir dix huit ans pour passer mon brevet d’état.

La première année, je me suis planté sur le tronc commun parce que j’avais un niveau d’étude très bas. Il fallait faire des recherches, des rapports et j’en étais incapable. Ça a donc été très compliqué mais je ne me suis pas découragé et j’ai recommencé la formation en autodidacte pendant que je faisais mon service militaire chez les parachutistes. Durant cette période de l’armée, j’ai continué à étudier de mon côté, et à entrainer. Quelques mois après ma libération, j’ai passé le concours en candidat libre et j’ai été reçu. Dans la foulée, la saison suivante j’ai passé mon spécifique avec option karaté. Je suis un autodidacte. C’est un cheminement d’apprentissage qui me convient. Le cursus « normal » ne me convient pas et j’apprends mieux par moi-même, même si je mets cinq fois plus de temps que les autres. Avec les arts martiaux, j’ai appris que quand on veut apprendre, on peut apprendre auprès de sensei mais surtout continué à travailler de son côté. Pour progresser, il faut seulement du temps et de l’obstination, Nintaï.

« Quand on veut apprendre, on peut apprendre auprès de sensei mais surtout continué à travailler de son côté », photo de Lionel froidure à Hô-Chi-Minh, 2011

 

Tu es également le fondateur d’une société de production, Imagin’ Arts. Comment ce projet est-il né ?

Lorsque j’ai eu mon brevet d’état, j’ai commencé à enseigner professionnellement dans le club de mon père avec un contrat jeune. En réalité, avec les contrats jeunes je ne gagnais rien mais cela  me permettait d’être du matin au soir dans un club. Je donnais mes cours et le reste de la journée j’aidais mon père à distribuer des flyers et faire de la communication. Durant le reste de mon temps libre je faisais également beaucoup de photos.

En 1999, je suis parti en Chine et je me suis dit qu’en plus de mon appareil photo ce serait bien d’emporter dans mes bagages une camera. Je n’en avais jamais touché mais j’étais déjà fan de cinéma. Je me suis alors dit que ce serait sympa de garder des souvenirs vidéos car on ne va pas en Chine tous les jours.

Je me retrouve donc en Chine et je me vois en train de réaliser le film avec mon ex-femme dans les rues de Pékin en lui indiquant là où elle devait marcher, de regarder la camera, de faire telle action, avec différents angles etc… À mon retour en France, j’avais environ quinze heures d’images. Je ne savais pas quoi en faire et je ne voulais pas avoir à regarder mes quinze heures d’images en guise de souvenir. Je suis donc allé à la Fnac et j’ai acheté un livre pour savoir comment monter les images. J’ai appris à faire des films comme ça, sur le tas. C’était sympa, donc j’ai continué puis j’ai aidé mon père à réaliser un clip pour le club. Les gens l’ont vu puis on a commencé à me proposer de faire des petits films d’entreprise. Ça me faisait un peu d’argent et de fil en aiguille je me suis retrouvé à en faire énormément.

J’enseignais principalement sur les créneaux du midi et le soir. Le reste de la journée, je ne savais pas quoi faire. Je m’entrainais mais j’avais encore pas mal de temps libre. J’ai donc créé une petite société pour faire des projets professionnels et avoir une rémunération supplémentaire. C’est comme ça qu’Imagin’ Arts est née. Au départ je faisais des films entreprise, des mariages, tout sauf des arts martiaux.

Aujourd’hui tes productions sont-elles essentiellement spécifiques aux arts martiaux? 

Aujourd’hui c’est devenu une société spécialisée à quatre vingt quinze pourcent dans les arts martiaux. Un jour, un ami pratiquant d’arts martiaux vietnamiens, David Basset, est venu me voir pour réaliser un DVD. C’était un DVD spécifique pour les enfants avec des quizz à l’intérieur, des jeux, une forme de DVD interactif. Le seul problème c’est que je ne savais pas faire de DVD donc je me suis replongé dans les livres car à l’époque internet c’était encore du 56K, donc les tutoriaux vidéos n’existaient pas. J’ai fait venir des livres français, anglais et j’ai appris comme ça. Je me suis retrouvé à faire un premier DVD avec des quizz composés de séries de questions. C’était excellent car si les enfants avaient bien répondu ça débloquait une vidéo bonus.

Ensuite, j’en ai réalisé un deuxième avec un karatéka mais ça a vraiment débuté quand la proposition de faire deux DVD avec Jean Pierre Lavorato, qui maintenant est neuvième dan de karaté mais qui à l’époque était huitième donc déjà une sommité. Je ne le connaissais que très peu et c’est un ami, qui était mon meilleur ami, qui me l’a proposé. Je parle au passé parce qu’aujourd’hui il est décédé. C’est grâce à lui  que j’ai fait mes premiers DVD avec Jean Pierre Lavorato. Ça a été les deux premiers volumes que nous avons réalisé et après la réalisation de DVD a explosé.

Les gens ont vu qu’on faisait des DVD mais autrement. Qu’on était des pratiquants et donc que je me souciais autant du côté pédagogique du DVD que du coté visuel, pour mettre en avant l’expert. C’était très important pour moi d’avoir autant de respect pour les experts sur le tatami que dans le cadre de la réalisation d’un DVD. À mes yeux, il fallait que je prenne du temps pour chaque DVD et que les gens qui achètent ce DVD  y retrouvent vraiment quelque chose de conséquent, de bien fait, qu’ils soient pédagogiques et ne se disent pas « et bien ça fait quarante cinq minutes, j’ai rien appris et c’est très mal filmé ». C’était ma hantise. Ça l’est toujours d’ailleurs. Avec le temps les experts issus de différents arts martiaux, kobudo, arts martiaux philippins, aïkido, kyusho, nihontai jitsu, sont venus se greffer au projet.

Lionel Froidure en compagnie de Jean-Pierre Lavorato

 

Comment se déroule le tournage? L’expert fait ce qu’il désire? Tu apportes ton regard? Tu scénarises? 

Alors je ne scénarise jamais le DVD. En fait, j’aide l’expert à mettre en image son histoire. Moi je suis juste un conteur d’histoire. L’histoire ce n’est pas la mienne. C’est l’expert qui arrive avec son projet, il a envie de raconter une histoire et moi je l’aide à la mettre en avant. Pour le tournage,  j’arrive avec des moyens techniques et mon expérience en tant que réalisateur mais  aussi en tant que pratiquant et enseignant. C’est cette triple casquette qui aide énormément les experts parce que je peux les conseiller afin de mettre leur mouvement en avant et orienter leur message de façon à ce que tout soit clair pour le public. Je suis juste là pour aider l’expert à être en avant, bien raconter son histoire et non pas lui dire « je veux que tu fasses ça de telle façon ou de telle manière. ». Je suis seulement là en soutien.

Comment se passe la sélection des experts avec qui tu travailles ? Est-ce toi qui fais la démarche de leur proposer un DVD pédagogique ou  eux qui viennent vers toi? 

Quatre vingt quinze pourcent du temps ce sont les pratiquants qui sont venus vers moi. Jean Pierre Lavorato  a été le premier à être plus ou moins démarché car c’est un de ses élèves qui lui a parlé de mes DVD à la suite d’un stage. Le projet l’a intéressé et on s’est donc rencontrés. Le courant est bien passé et donc ça s’est fait. Après pour les autres, ils m’ont contacté parce que j’avais été recommandé par d’autres experts ou alors ils avaient vu mes DVD. Pour d’autres, c’était des personnes que je connaissais depuis très longtemps. Ils connaissaient mes productions et donc un jour ils sont venus me voir, m’ont demandé si je voulais bien faire un DVD avec eux, et naturellement j’ai accepté.

La réalisation se base donc sur une relation de confiance?

C’est vraiment sur la confiance. J’ai beaucoup de demandes et j’en satisfais très peu. Aujourd’hui j’ai soixante dix références et chaque expert avec qui je travaille est souvent un représentant en France voire en Europe de sa discipline. Après chacun dans leur univers ou leur fédération, mais ils ont vraiment quelque chose d’unique. Ce n’est pas l’élève de quelqu’un qui va faire le DVD. C’est vraiment quelqu’un qui est reconnu par ses pairs et par les autres et ça c’est un gros avantage. C’est pour ça que lorsqu’il y a des personnes qui viennent me voir et me demande de faire un DVD, je leur demande d’abord qui ils sont, avec qui ils travaillent, qui sont leurs senseïs, car je ne les connais pas et je ne peux pas connaître tout le monde. Le monde des arts martiaux est très vaste.

Souvent ces personnes sont à la recherche de notoriété, de communication. Ils ont pratiqué six ans un art martial puis ont créé leur propre courant et veulent juste avoir un DVD pour faire de la com’. Ce genre de personnes ne m’intéresse absolument pas. Bien sûr dans les demandes que j’ai, il y a des personnes très intéressantes mais j’ai déjà travaillé avec leur senseï. Donc les mettre en avant avec un DVD ça voudrait dire que je les mets sur le même piédestal que leur senseï et cela me gêne. Pour moi le budo ne s’arrête pas à la porte du dojo, il est la tout le temps. Le business c’est un business budo, donc oui c’est du budo avant tout et non pas le business dans le budo. Pour moi c’est important. Si je n’ai pas confiance en la personne, je ne fais pas. Par contre si j’ai confiance il n’y a pas de soucis. C’est un échange. Il me fait confiance pour travailler son image, pour le mettre en avant et moi je peux lui faire confiance pour son travail car c’est lui l’expert.

Tu réalises également des documentaires, nommés « En Terre Martiale », quelle est l’origine de ce projet ? 

Fin 2006, début 2007, j’ai divorcé. J’avais déjà la société depuis trois ans, je commençais déjà à avoir quelques vidéos et là je me suis dit que ce serait bien de faire quelque chose sur les arts martiaux, mais dans le pays d’origine, de faire un reportage tout simplement. Je me suis vraiment posé la question et je me suis dis que ce genre de chose permettrait, à ma façon, de remercier les arts martiaux de me donner la vie que j’ai aujourd’hui. Si je pratique les arts martiaux, c’est parce que mes parents ont commencé, qu’il y a eu Bruce Lee et pas mal de choses. Ça a changé leur vie. Mon père était ajusteur dans une usine et il a tout quitté pour pouvoir vivre de sa passion. Il y a beaucoup de gens pour qui les arts martiaux comptent beaucoup dans la vie. S’ils n’avaient pas ça ils  seraient malheureux, ça fait partie de leur vie intégrante. Et s’il y avait plus de gens qui pratiquaient les arts martiaux, de mon point de vue, je me dis qu’il y aurait plus de personnes heureuses. Il fallait donc contribuer au fait que les arts martiaux soient plus connus, leur valeur, mais aussi leur culture et faire disparaître cette image parfois négative qu’ont les  gens en pensant que c’est pour les brutes épaisses qui veulent juste combattre. Je me suis donc dit qu’il fallait faire quelque chose.

J’en ai parlé à un ami, qui est maintenant mon maître d’arme, Dany Faynot, et qui est parti vivre en Asie depuis maintenant trente ans. À son retour en France, après avoir écouté mon discours, il m’a dit « Lionel si tu le souhaites, tu viens aux Philippines et je te présente les plus grands maîtres des Philippines ». Je lui demandais s’il était sûr et il  m’a répondu « pas de soucis je les connais bien. Tu viens et on va rencontrer ces maîtres ». Le rendez vous est pris six mois plus tard et là je crois que je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Je me suis dit « c’est bien tu pars dans un pays que tu ne connais pas, tu ne connais pas l’art martial et tu n’es pas un reporter journaliste ». J’ai donc eu six mois pour me préparer. Encore une fois, l’autodidacte en marche, lecture, approfondissement, scénarisation. Je ne savais absolument pas dans quoi je m’embarquais. Finalement tout ce que j’avais préparé ne m’a pas servi à part le fait de savoir écrire une histoire. Mais en réalité l’histoire s’est créée sur place.

Tournage En Terre Martiale, dans les montagnes sacrées de Wudang

 

Aujourd’hui En Terre Martiale est devenue une association. Quelle différence y a-t-il entre Imagin’Art et En Terre Martiale ?

J’ai donc réalisé mon premier documentaire, « Les guerriers philippins ». Quand je suis rentré, mon meilleur ami des arts martiaux vietnamiens, a vu le rendu final et m’a dit « ce serait super que tu viennes au Vietnam ». Mon ami qui pratiquait les arts internes, le Yin Chuan, m’a également sollicité pour réaliser un DVD sur cette pratique en Chine. J’ai donc commencé à faire ces tous premiers projets mais En Terre martiale ce n’était vraiment pas quelque chose que je voulais faire pour gagner de l’argent. En fait, je les finançais personnellement, ce n’était même pas la société qui payait. J’avais mon argent personnel, récupéré du mariage brisé, que j’ai investi pour réaliser « Les guerriers philippins » qui a ensuite été revendu par Imagin Arts. Vu qu’il y avait un retour positif, je me suis dit qu’il serait bien qu’En Terre Martiale ait sa propre identité. Je me suis donc posé la question de refaire une autre société mais pour moi ça ne devait pas rentrer dans le côté lucratif. Ça devait vraiment rester dans le côté partage. J’ai donc voulu que ça soit une association de la loi de 1901 à but non lucratif pour que l’argent récupéré puisse financer le voyage d’après. Aujourd’hui il aide également au financement des stages comme les masters class.

J’ai créé une association pour pouvoir faire des projets autres que professionnels. Pour que ça soit vraiment séparé du côté vente des DVD pédagogiques qui est une chose pour les experts qui ont des quotas, des Iteases, donc c’est un business. Il faut le dire même si j’y prends beaucoup de plaisir. Le côté En Terre Martial est vraiment personnel. C’est mon petit bébé même si je ne suis pas dans le comité directeur. Je suis juste le président d’honneur. Je n’ai pas de main financière sur En Terre Martiale, malgré le fait que je sois le visage de cette association. Les décisions sont prises en comité directeur ce qui permet de conserver un coté vraiment associatif.

Tu parlais de l’aspect culturel des arts martiaux. Pour toi est-ce important de connaître la culture d’un art martial pour pouvoir progresser? 

Tout dépend où on veut se placer. Si on veut se placer en temps que pratiquant loisir on n’en a pas besoin. On peut juste aller au dojo comme on va à la salle de fitness. On monte sur le tatami, on fait son entrainement, on en ressort et ça y est c’est terminé. Si on commence à rentrer dans le pratiquant qui est dans la recherche du côté Do, le côté martial, il va certainement chercher un petit peu plus du côté de l’étiquette qu’il y a dans les arts martiaux et il va forcément aller vers le côté culturel. Dans tous les arts martiaux, peu importe le pays, il y a cette culture qui est liée. Au Japon par exemple, le cours s’arrête avec un salut. On ne salue pas dans les arts européens. Donc on est déjà sur une question culturelle. Au début, je salue mais je ne pense pas réellement à toutes les significations. On sait seulement que ça vient du Japon, qu’ils saluent au début et à la fin du cours donc on fait la même chose. Puis petit à petit on va rechercher les significations de ce salut, ce que cela engendre et ce que cela représente. Après on va s’attarder un peu plus sur les notions telle que la notion d’irimi.  On entend irimi,  mais ça veut dire seulement «rentrer »? C’est juste une transcription ou est-ce que cela comprend d’autres dimensions? D’où est-ce que cela vient, quelle est son étymologie? Si on se consacre un petit peu à la culture, on va aller beaucoup plus loin dans les principes fondamentaux des arts martiaux. On aura donc une meilleure compréhension et en tant que bon occidental si on a une meilleure compréhension on avancera plus facilement.

Lors de notre dernière rencontre, tu m’avais parlé de la récupération de certaines bandes sonores de Minoru Mochizuki. 

Oui c’était pendant le tournage à Shizuoka, dans le dojo de Minoru Mochizuki, le Yoseikan dojo. C’est un de ses anciens disciples,  Sato San, qui me les a transmises. C’est quelqu’un d’adorable qui m’apprécie beaucoup puisque cela fait quelques années que j’y vais régulièrement. Dans un premier temps, je m’étais rendu au Yoseikan dojo personnellement puis j’y suis retourné pour faire un DVD pédagogique et un documentaire, donc il commençait à être habitué à mes visites.

Un jour il est arrivé et m’a dit « bon voilà Lionel, je te donne des bandes ». C’était des bandes de huit millimètres de maître Minoru Mochizuki, des vidéos originales qu’il avait filmé. Il me dit « tu en fais ce que tu veux. Par contre si tu veux bien me les ramener je serais content. Mais tu les gardes le temps que tu en auras besoin ». Je rentre donc en France avec ces bandes. Il a fallu faire les transferts des bandes pour découvrir ce qu’il y avait dessus. On y voyait senseï travaillant les sutemi dans son vieux dojo. Il y avait aussi un travail de katori au ken et au bo. C’était assez exceptionnel d’avoir ces images. Je les ai récupérées et les aient mises en bonus dans le documentaire pour que les gens puissent les voir. Ça c’était la première étape.

Ensuite, il m’a remis des négatifs photos que Minoru Mochizuki avait réalisé avec Jim Al Cheik. C’était une situation très particulière car je me suis retrouvé avec des images qui ne sont pas à moi sachant que je ne descends pas de cette école. J’ai énormément de respect pour ce personnage, ce O senseï qui a énormément apporté. J’ai donc développé ces photos et je les ai partagées avec les gens qui le suivaient et qui les ont diffusées à certains professeurs pour que cela ne se perde pas.

La dernière fois, je suis revenu en France avec des bandes sonores. Cette fois-ci c’était des bandes audios et je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait être. Autant les négatifs on peut les voir avant de les faires développer, la vidéo c’est pareil mais là des bandes analogiques audios… Déjà que les lecteurs pour lire ces bandes ne courent pas les rues et en plus c’était en japonais. Je les ai donc envoyées à un labo qui me les a retournées. Sur quatre pellicules deux étaient inutilisables. La troisième bande ce sont des chants, ça parle, ça rigole et ensuite ça repart sur des chants. J’ai l’impression que se sont des chants de famille, quelque chose comme ça parce que l’on entend des enfants au fond. La dernière c’est une interview, apparemment. Pour l’instant je suis en train de voir pour pouvoir faire traduire cette interview qui dure vingt minutes. Ne parlant pas japonais, je ne sais vraiment pas de quoi il s’agit.

C’est marrant parce que ce sont vraiment des petits trésors. Tu les as en ta possession mais tu ne sais pas du tout ce que sait. J’avance de découverte en découverte. Dans la dernière bande audio je sais qu’il y a du dialogue et que ça peut être intéressant mais il parle peut être simplement à quelqu’un de chose qui peuvent n’avoir aucun intérêt martial, comme ça peut être quelque chose d’une richesse absolue. Donc je ne sais absolument pas quel peut être le contenu des bandes.

Je n’ai jamais demandé à posséder ces documents, c’est vraiment Sato San qui est arrivé un jour et m’a transmis ces éléments. Je suis honoré par rapport à la confiance qu’il m’accorde car ce sont des originaux assez rares qui ont cinquante ou soixante ans d’âge.

Lionel Froidure au Yoseïkan dojo en compagnie de Terumi Washizu senseï et ses élèves

 

J’imagine que tes échanges avec les différents experts que tu rencontres alimentent ta pratique et tes réflexions?

Totalement. On parlait de culture et il y a pas très longtemps j’ai appris un nouveau mot, c’est Mitoro Keïko, l’étude par le regard. C’est une chose que l’on fait naturellement lorsque l’on est sur un tatami. On regarde on apprend et à travers ma profession j’ai découvert que j’apprenais tous les jours en regardant durant des heures et des heures les images que je filme. Quand je tourne avec un expert, il y a un DVD d’une heure à la clé. À la fin de chaque tournage, j’ai généralement sept ou huit heures d’images que je travaille pendant un mois et demi, deux mois. Je suis donc alimenté par ces images au quotidien. Automatiquement, je me suis rendu compte que dans mes cours, j’avais des mouvements qui me venaient naturellement. Au début c’était surtout en Karaté où je me retrouvais vraiment à faire des mouvements que je n’avais pas l’habitude de faire et que je voyais régulièrement en montage. Après ça a été plus perturbant quand dans ma pratique du Karaté je me retrouvais à sortir un mouvement qui venait d’une autre discipline. C’est là où je voyais que toutes les disciplines alimentaient ma pratique indirectement. Ça pouvait être une façon de voir les choses, une approche, une pédagogie spécifique. C’est comme si j’étais tout le temps en stage. La visualisation est absolument géniale. Je visualise tous les jours en regardant une image, en observant en détail pour choisir les images avec les bons angles, la bonne synchronisation etc…. À chaque fois j’analyse tout ce que les experts font afin de choisir la meilleure séquence pour la qualité du DVD parce qu’il ne faut pas se planter. Tout ce que j’apprends à l’extérieur nourrit ma pratique de base qui est le karaté. Chaque discipline, chaque nouvelle rencontre me sert d’œil nouveau.

L’échange avec les pratiquants de divers horizons est donc au cœur de ta pratique. Penses-tu que cela est nécessaire pour progresser quel que soit le niveau ?

Pour moi ça serait utopique de rester dans sa propre pratique. Ce serait trop simpliste, mais ça n’est que ma vision des choses parce que ma pratique, depuis plus de vingt cinq ans, est enrichie par toutes les disciplines malgré le fait que je sois karatéka. Beaucoup de gens me demandent comment j’ai fait pour ne pas changer mais c’est peut être pour cela que je n’ai pas changé, parce que je m’alimente ailleurs. Après c’est sûr je n’ai pas un karaté comme tous les autres. Je m’adapte et quelque part c’est pour ça que je fais toujours des stages de karaté « classique », pour rester dans la ligne d’un karatéka, car je suis avant tout karatéka. Par contre, je me considère plus comme un budoka que comme un karatéka. Terumi Washizu sensei.

Après de la à dire que tout le monde doit le faire, non pas à un certain niveau. Je le déconseille par exemple aux débutants. À un certain niveau par contre je dirais oui, quand on commence à avoir la ceinture marron, noire, trois quatre ans de vrai pratique, assidue. On peut commencer à aller voir un petit peu ailleurs pour voir ce qui se fait, pour se tester aussi et voir comment on réagit par rapport à d’autres enseignements. Ensuite, je le dis dans un de mes articles, il est important de choisir le bon art martial. C’est important de ne pas prendre n’importe quoi comme discipline en supplément. Quand je dis n’importe quoi comme art martial, cela ne veut pas dire qu’il y en a de moins bons que d’autres, tous les arts martiaux sont biens, mais parfois la personne qui la pratique n’est pas la plus apte à transmettre.

Dans tous les arts martiaux il y a quelque chose à piocher mais en tant que karatéka je me verrai mal aller faire du Kung Fu pour faire des Tao. J’en fais déjà assez dans le karaté. Par contre aller faire de l’interne, par exemple en Taï Chi ou en Yin Chuan, ou du Chi Kong, ça va m’apporter car c’est une pratique opposée à la mienne. Aller pratiquer du Kobudo, ça va être très bien car je vais pratiquer les armes. Ce n’est pas pour rien que je pratique les arts martiaux philippins car on y retrouve un travail aux armes différents de celui fait en Kobudo. Aller faire du Taekwoon Do, oui car ça va me faire travailler les jambes.

Je pense qu’il faut trouver une pratique qui soit assez éloignée de celle qu’on pratique habituellement. Faire du karaté et de l’aïkido par exemple c’est très bien car il y en a une qui se fait tout en rondeur et l’autre est très linéaire en apparence alors qu’en réalité elles se rejoignent. Par contre au départ elles sont tellement éloignées que le débutant ne va pas voir ce qui les réunit, mais ça va l’aider dans son cheminement.

Il faut choisir les disciplines qui s’accordent bien. Si la personne pratique quelque chose qui est assez soft il lui faudra quelque chose qui soit un peu plus dur. Quelqu’un qui est plus droit il lui faudra quelque chose d’un petit peu plus circulaire et inversement. Quelque part c’est trouver son juste opposé comme le Ying Yang.

Lionel Froidure aux côtés de Shifu You Xuande et Shifu Yuan Limin, immersion au coeur de la montagne sacrée de Wudang

 

Du haut de ton expérience, quel conseil donnerais-tu pour aborder un nouvel enseignement et profiter au maximum de cet échange ?

C’est important de garder en tête l’esprit du débutant, de toujours aller chercher quelque chose que tu ne connais pas, d’être novice. Il n’y a rien de mieux que d’aller à la rencontre d’une nouvelle discipline où tu n’es pas expert. Ça te permet de découvrir la discipline tel quel sans chercher à réinterpréter en te disant  « ce n’est pas comme moi, je ne fais pas comme ça, ça marcherai mieux ainsi etc… » L’idée c’est vraiment de repartir à zéro, d’essayer de comprendre le principe avant tout et plus tard quand ces principes ont été suffisamment travaillés, mûris, on arrive parfois à faire le lien avec notre pratique.

Tu es également parti vivre aux Philippines pour y étudier l’Arnis Kali. Quelles ont été tes motivations? 

J’ai découvert les arts martiaux philippins quand je suis parti faire le documentaire. J’avais trouvé quelques vidéos sur internet, quelques livres, mais ça ne me parlait pas trop. Je faisais un peu de Kobudo donc je me questionnais sur leur pratique. Lorsque je suis arrivé aux Philippines, j’avais fait six mille kilomètres pour rencontrer douze grands maîtres. À force de discuter avec eux, je me suis rendu compte qu’ils avaient ce côté pragmatique des arts martiaux.

En fait, les Philippines sont une démocratie depuis peu. Avant ils étaient sous dictâtes ce qui a entrainait des rébellions, révolutions, guerres civiles. C’était donc un pays en guerre il n’y a encore pas si longtemps que cela. Juste avant c’était la guerre du pacifique et j’ai eu l’occasion de rencontrer des maitres qui sont partis en guerre contre les japonais avec leur machette contre les sabres japonais et fusils à baillonnettes dans les champs de riz. Ils avaient une approche de l’art martial complètement différente des arts martiaux japonais que je pratique depuis très longtemps et qui ne pratiquent plus les arts guerriers en réalité. Ils le pratiquent pour le côté budo mais plus en forme Jutsu, mise à part quelques rares écoles. J’ai vraiment apprécié le discours et je me suis vraiment rendu compte qu’il y avait quelque chose à apprendre auprès d’eux.

Après mon retour, je me suis donc dit qu’il faudrait que je me forme en essayant de m’entrainer tout seul. L’année suivante je suis reparti aux Philippines pour faire un DVD pédagogique et m’entrainer. Quand on ne filmait pas je m’entrainais ou prenais des cours. Pendant les trois semaines de séjour, ça m’a donné de quoi me nourrir pendant une année vu que je m’entrainais quasiment tout seul. Ensuite j’ai trouvé un expert sur Toulouse qui est de la même école mais comme j’enseigne les soirs, qu’il n’était pas toujours disponible et que mes weekends sont souvent rythmés par les déplacements, je m’entrainais seul encore une fois. Finalement, le peu de temps ensemble me suffisait car les arts martiaux philippins s’enseignent comme à l’époque des mousquetaires où on aller voir un maître d’arme. On prenait une leçon d’arme et après on repartait. On ne passait pas quinze jours, trois semaines, en stage. Ils venaient puis repartaient. Un mois plus tard ils revenaient reprendre une leçon et voir le résultat de leur travail entre temps. S’ils avaient assez travaillé et que c’était compris, ils pouvaient passer à l’étape supérieure. Si ce n’était pas acquis, ils restaient au niveau où ils étaient. Donc j’ai appris comme ça, à la mode phillipaine. J’avais beaucoup de choses à travailler, donc j’ai étudié tout seul dans un premier temps. Après je prenais des élèves en guise de partenaire. Je leur mettais des cannes dans les mains, je leur disais de m’attaquer et finalement ils ont accroché.

En 2010, j’ai décidé de quitté la France. J’avais envie d’essayer de vivre en Asie. Ça faisait trois ans que chaque année je repartais aux Philippines, en plus du Japon et de la Chine. Quelque part j’avais vraiment envie d’y retourner car j’avais accroché avec ce pays. À la fois martialement, humainement puis les paysages étaient vraiment splendides. Je suis donc parti m’installer là bas. Une fois sur place, je prenais un cours d’arme toutes les semaines avec mon maître d’arme. J’avais également un deuxième maître d’arme avec qui je prenais des cours spécifiques. Toutes les semaines je prenais mon cours de trois heures, et ensuite le reste de la semaine, je m’entrainais tous les matins, deux ou trois heures. L’après midi je travaillais pour la société. Entre temps, je partais quinze jours, trois semaines, en tournage puis je revenais. En fait, j’ai passé une année à pratiquer intensément pour ma propre progression. À partir de ce moment j’ai fait un bon extraordinaire dans les arts martiaux Philippins car j’étais au plus près de l’enseignement et de cette culture. Lorsque que je m’entrainais,  je n’étais qu’avec le maître. Ce n’était pas des cours en groupe comme nous avons généralement en France mais un cours d’arme particulier avec le maître pendant trois heures, un cours de maître à disciple.

Dani Faynot et Lionel Froidure, Philippines

 

Quelles sont les différences entre la pratique du karaté et celle de l’Arnis ?

Si je m’arrête au Karaté Shotokan classique, c’est du Karaté Do Shotokan. C’est une pratique très Do, c’est une voie de développement, on est sur un chemin de recherche de perfection, du bon mouvement, de la bonne sensation. Chose que l’on ne retrouvera jamais dans la réalité mais ce n’est pas grave on va chercher cette perfection et ça nous permet d’avancer. Il y a certaines choses que nous allons pratiquer, qui dans un aspect combatif  n’ont pas de sens.  J’en ai discuté avec de nombreux senseï et ils m’ont dit « non je ne le ferai jamais dans un vrai combat mais pour la pratique c’est très bon parce que ça développe d’autres critères ». Chose que je comprends très bien car ça développe plein de qualité.

Dans le karaté Jutsu, le karaté un peu plus self, on enlève ce côté un petit peu fermé. Par exemple dans mes cours, j’enlève les attaques ciblées, les attaques stéréotypées de gens éduqués qui avancent d’un pas en faisant un coup de poing car ce sont des attaques téléphonées. On va être plus sur des attaques du style « je te pousse au corps et je te frappe » ou alors « je t’attrape les revers et je te mets un coup de tête » tout en essayant de garder la spécificité du karaté. On va rechercher à retrouver nos applications de kata ainsi que des formes avec des attaques qui sont beaucoup plus réelles et contemporaines. En Arnis Kali, la grande différence c’est qu’on travaille avec des armes. Dans l’aspect combatif on ne va donc pas travailler de la même façon.

L’une des premières règles des arts martiaux philippins, c’est casser la main de notre partenaire. Si on lui casse la main, il ne peut plus tenir son arme et s’il ne tient plus l’arme je peux lui casser la tête. Donc l’approche est très différente. On ne va pas chercher à bloquer le bâton qui nous attaque, on va chercher à frapper la main qui tient le bâton. S’il nous attaque au couteau et qu’on possède un couteau, on va couper les tendons du bras qui tient l’arme. Ils ont gardé dans les styles traditionnels ce côté vraiment guerrier. Après malheureusement, il y a beaucoup de styles modernes qui ont enlevé cette aspect guerrier et sont devenus du « tape bâton ». Ils frappent dans leur bâton, ils vont très vite, ils peuvent même regarder à côté et continuer à faire leur enchainement. Chose que l’on ne peut pas faire dans le réel. C’est donc qu’ils ont instauré une convention entre les deux partenaires et ça c’est une chose qui ne m’intéresse pas.

La chose qui m’intéresse dans les arts martiaux philippins, c’est le côté pragmatique, c’est à dire aller à l’essentiel du combat, enlever tout le superflu. Ma vie est en danger, je dois aller vite et gagner le combat.

 

Qu’est-ce que cela t’apporte dans ta pratique du karaté ?

Ça m’apporte énormément dans mon karaté car c’est plus une attitude mentale que technique. Que ce soit le fait de viser le bâton ou viser la main ça correspond à un choix mais le choix c’est intellectuel, c’est un état d’esprit. Quand on travaille, que ce soit dans les arts martiaux philippins, le karaté, peu importe, ce qui va compter c’est l’état d’esprit dans lequel on va se mettre pour étudier. Et ça c’est le plus important. C’est pour ça que les arts martiaux philippins nourrissent énormément ma pratique du karaté. En plus de leur travail, il y a une notion très importante qui est le flot, c’est à dire l’enchaînement continuel de techniques, ne pas s’arrêter, toujours contrôler l’autre, toujours le déstructurer, chose que dans le karaté on ne va pas forcément chercher. On va le déstructurer mais grâce aux frappes. Dans l’Arnis ça va être amené un peu différemment, à travers ce flot de techniques.

Quelles armes utilise-t-on principalement en Arnis?

L’arme emblématique c’est la canne de combat qui fait environ soixante douze centimètres, que l’on va utiliser en simple ou en double. Aux Philippines, ils commencent avec deux cannes, que l’on soit gaucher ou droitier ça n’a pas d’importance. Ensuite on passe à une canne et là si on est droitier on la met dans la main droite, si on est gaucher dans la main gauche. On ne travaille plus l’inverse car il y a encore ce côté pragmatique. Vu qu’on sait déjà le faire à droite et à gauche avec les deux mains, si on travaille uniquement avec une seule arme on va le travailler seulement d’un côté et l’autre main va venir aider la main armée. Après on travaille au couteau, puis il y a le travail plus traditionnel où on ne peut pas aller très vite, c’est le travail des épées et des bolos c’est à dire les coupe-coupe. Et pour finir, il y a le travail du bâton long qui s’apparente au Jo où ils ont une approche totalement différente du Jo Japonais ce qui est assez surprenant d’ailleurs. J’aimerai bien un jour faire un échange avec un « bon » pratiquant de Jo pour tester mon travail au Mimar (nom du bâton long dans notre style).

Quelles sont ses différences?

La grande force des arts martiaux philippins c’est qu’ils ne travaillent pas sur des techniques. Ils travaillent sur des angles donc que je t’attaque avec un angle plat, c’est-à-dire parallèle au sol, au niveau de la tête, au niveau du coude, de la hanche ou du genou, il va toujours être traité de la même façon parce que l’angle est le même. Dans les arts martiaux japonais, si on vous attaque il faut réagir de telle ou de telle façon etc… En fait il y a un côté redondant alors que des fois il y a certaines choses que l’on pourrait faire naturellement sur toute les attaques. C’est ce qu’ont gardé les arts martiaux philippins, cet aspect où l’on travaille sur un angle, non sur une attaque précise en un point précis. Une fois qu’on a compris ce travail d’angle peut importe l’attaque, on reste toujours sur les mêmes techniques. Une fois qu’on a compris l’angle, on peut l’appliquer sur toutes les armes, que ce soit sur des bâtons, bâtons doubles, couteaux, stylo, mano mano… Il y a un lien entre toutes les armes et on les travaille avec les mêmes principes, en travaillant toujours sur les angles avec l’intégration de contre, le travail du flot, les déplacements, bantay kamay (la main libre). Ce principe d’angle est vraiment le cœur des arts martiaux philippins, c’est vraiment leur point fort.

 

Tout à l’heure tu nous parlais de ta rencontre avec des maîtres ayant dû combattre pour survivre. C’est quelque chose qui est toujours d’actualité aux Philippines? 

C’était pareil en Europe, les gentils hommes allaient combattre en duel avec leur épée ou avec un pistolet. Aux philippines c’est encore une réalité, de moins en moins mais c’est toujours d’actualité dans certaine province reculée. Cela arrive dans les quartiers peu fréquentables et il y a encore quarante ans c’était très régulier d’avoir des combats à mort qui avait généralement lieu en public. Les badauds regardaient les combats car l’honneur des deux était en jeu. Il y a encore trente ans, il y avait encore des coupeurs de tête aux Philippines, notamment dans les tribus du nord de Luzon. Trente ans, ce n’est pas si loin. Ils ont gardé se côté traditionnel, combatif, guerrier et ils ne se font pas de cadeaux car ils ne jouent pas.

Le maître de mon école qui est aujourd’hui décédé depuis dix ans, grand master José Mena a été fait prisonnier à l’âge de dix sept ans par les pirates du sud à Jolo Island. Dans le sud des Philippines, ils sont musulmans car ils sont à côté de l’Indonésie, il y avait donc un Sultan. Le reste des philippines est catholique. Il a été fait prisonnier et le sultan organisait tous les mois, à la pleine lune, des combats à mort avec les prisonniers qui étaient généralement faits esclaves. Il les mettait dans une arène avec une machette et celui qui gagnait pouvait vivre un mois de plus. Il a survécu pendant un an jusqu’à ce qu’il réussisse à s’échapper. Il avait donc déjà une très grosse expérience du combat réel à l’âge de dix huit ans. Il avait appris les arts martiaux philippins avec son père. Après s’être échappé, il a continué les arts martiaux et à fait de nombreux duels. Il est par exemple allé combattre contre d’autres adeptes pour voir ce qu’il valait. Il a toujours été dans cette recherche. Il a également fait parti des rebelles contre le dictât et a combattu contre les japonais durant la guerre du Pacifique. C’est un maître d’arme qui a combattu toute sa vie. Quand il enseignait, il n’enseignait que ça, en disant ce qui marche et ce qui ne marche pas. De première main on avait quelqu’un qui avait tué des gens, coupé des mains, coupé des têtes.

On dit souvent que les maîtres ayant vécu ce genre d’événement dégagent quelque chose de très particulier. Quel a été ton sentiment en rencontrant ses adeptes ?

Je n’ai pas eu la chance de connaître le maître de mon école. J’ai malheureusement débuté les arts martiaux philippins après son décès. Par contre avec les nombreux tournages et mon séjour aux Philippines, j’ai eu la chance de rencontrer master Pallorina, âgé de 91 ans, aujourd’hui décédé, qui avait un parcours similaire. Cet homme avait perdu trois doigts contre les japonais durant la guerre, en combat dans les rizières. Il me racontait qu’il était en train de cultiver son riz lorsqu’il a vu les japonais arriver. Il savait qu’une invasion était imminente donc il est parti en courant dans la rizière avec sa machette pour aller tuer l’envahisseur. Il est parti tout seul au front pour aller couper du japonais. Et avec un sourire il continua « j’ai fait une erreur, je n’ai pas bien fait la technique donc j’ai eu trois doigts qui ont été coupés mais après je lui ai coupé la tête ». Quand tu rencontres ce genre de personne, tu te rends compte que tu es dans un autre monde, un autre univers. Lorsque tu te retrouves face à ce genre de personnage,  tu sens de suite que c’est quelqu’un de toujours dangereux. Il avait vraiment quelque chose de particulier qui se dégageait dans sa façon de parler. Il racontait aussi les autres combats auxquels il avait participé, c’était un vrai guerrier. Mais quelque part c’est très lié à leur culture.

Il faut savoir que les philippins sont des insulaires, donc dans chaque île, ils ont leur propre clan et les clans se battent entre eux. Ils ont toujours combattu c’est pour ça qu’on parle d’Arnis, de Kali ou d’Eskrima. Déjà ils ne sont pas d’accord sur le nom. Ils ne donnent pas les mêmes appellations aux choses alors que ce sont les même, c’est compliqué. Entre eux ils se font la guerre et il n’y a que très peu de grands maîtres qui se sont reconnu, entre eux, comme les plus grands. En fait ils se sont dit que s’ils se combattaient entre eux, ils n’étaient pas sur de survivre car ils avaient conscience que c’était de grands guerriers et donc ils savaient que ce n’était pas la peine de jouer, qu’ils avaient une chance sur deux de gagner. Ces douze grands maîtres se sont dit « On se reconnait entre nous comme les plus grands maîtres des Philippines. On se respecte et il n’y a rien qui peut se passer entre nous ». Malheureusement comme la plupart de ces grands maîtres sont aujourd’hui décédés,  la nouvelle génération essaie de changer la donne. C’est un aspect très culturel.

Dans leur culture, il y a également un côté très ancien, une forte croyance. Par exemple, ils croient aux pouvoirs des amulettes encore de nos jours. J’ai rencontré un maître avec une amulette lors d’un documentaire et il m’a dit que son amulette arrêtait les balles. Il y croit dur comme fer. La foi donne au guerrier cette force nécessaire d’aller au combat où il peut perdre la vie. Et c’est ça qui est dangereux. Ce n’est pas celui qui à la plus grande technique, c’est celui qui n’a pas peur de perdre la vie qui est dangereux. Quand on rencontre des gens comme ça, tu te demandes comment tu ferais pour faire face à ces personnes, qui se pensent invincibles. Le plus surprenant ce n’est même pas qu’ils n’ont pas peur de mourir, c’est que pour eux ils ne peuvent pas mourir. Ça fait partie de leur culture et c’est ancré chez les vieux maîtres qui ont tous une amulette sacrée (pierre dans la poche, couteau, bout de tissu…). De nos jours, cette croyance ce perds chez les jeunes maîtres. Il est bon de savoir qu’il n’y a que le possesseur de cette amulette et les personnes de très grandes confiances qui peuvent la toucher, sinon son pouvoir peu disparaître. Cela va donc très loin en termes de croyance. Ça ne se transmet pas et ils doivent s’en montrer dignes. On retrouvait en Europe ce type de croyance ;  aujourd’hui certaines personnes veulent porter leur objet fétiche pour aller à un entretien ou un événement important. Un objet unique qui fait de toi quelqu’un d’extraordinaire à travers une croyance.

Durant mon parcours de combattant, je suis monté sur des rings, j’ai mi des Ko, j’ai pris des Ko mais c’est tout. Je ne me suis jamais fait poursuivre par quelqu’un avec un coupe-coupe. Quand tu fais face à ces adeptes qui te racontent leur expérience, tu ne peux pas savoir comment tu réagirais car nous ne sommes pas du même monde. Et quelque part, tu te poses forcément la question. Qu’est ce que je ferais en situation de survie ? Ce n’est pas une situation de self défense, c’est une situation où ta vie est en jeu. On a beau s’y préparer mais est-ce que mentalement on sera prêt ? Technique oui, mais comment vas-tu réagir ? Est-ce que tu vas être tétanisé sur place, incapable de gérer la peur, est-ce que tu vas combattre ou fuir ?

Comment est abordée cette préparation mentale en Arnis ?

Mon maître d’arme, Dani Faynot, nous le fait travailler par exemple comme ceci : il nous met en situation face à deux partenaires armés tous les deux d’un couteau d’entrainement. Tu dois fermer les yeux, et tes partenaires se place où ils le désirent dans un périmètre de deux – trois mètre autour de toi. Ils n’ont pas le droit de s’approcher plus. Juste avant d’ouvrir les yeux tu dois dire à haute voix le prénom de deux personnes que tu es en train de protéger derrière toi. Dans cette mise en situation, les deux personnes qui te font face vont t’agresser violemment,  et s’en prendront ensuite à tes proches. Si c’est une fille ils vont la violer puis la transformer en prostitué, si c’est un homme ils le tueront ou en feront un esclave. Le fait de fermer les yeux, de visualiser la situation et de dire haut et fort les prénoms, lorsque tu ouvres les yeux tu es à deux mille pourcent dans ta tête et dans ton cœur. Tes partenaires te foncent dessus et tu ne sais pas comment ils vont attaquer. C’est une situation qui te prépare mentalement à ça. Tu te dis « si je ne les arrête pas pendant l’entrainement, je n’y arriverai jamais dans la réalité, donc là je dois y arriver ». C’est un exercice difficile et éprouvant mais c’est une préparation mentale plus que technique. C’est ce qui fait toute la différence dans les arts martiaux. Ce n’est pas la technique. La technique c’est une chose mais la préparation mentale est primordiale. Une fois que tu as un peu de technique, si tu as un gros mental, c’est bon. Regarde les grands boxeurs, ils étaient nombreux à être de pauvres techniciens mais avec un mental indestructible. Ça faisait toute la différence.

La pratique des arts guerriers philippins alimente donc ta pratique du karaté qui est un budo. Mais quelque part n’est-ce pas un peu paradoxal d’étudier un art basé sur la destruction pour alimenter une pratique basé sur l’élévation de l’homme où l’on parle souvent de compassion et de paix? 

En fait, je pense que celui qui ne passe pas par la phase de destruction oublie une étape importante des arts martiaux. Les arts martiaux c’est du combat avant tout, de survie même. Pour moi celui qui l’oublie ne pratique pas un art martial. Il fait une pratique corporelle, je ne la critique pas, il a le droit, c’est son choix et je le respecte. Mais pour moi, il ne pratique pas des arts martiaux. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien, mais je pense qu’il est nécessaire de pratiquer le côté destruction. Si on se fait agresser, il faut pouvoir se défendre, donc il faut pouvoir travailler dans ce que je vais appeler le réel entre guillemets. C’est un affrontement physique, quelque chose qui fait mal, quelque chose qui fonctionne. Lorsque l’on subit une clé, si elle n’a pas la capacité de faire mal elle ne marche pas. Il faut donc que cette clé est la capacité de détruire si besoin. Cela permet de savoir si nous sommes bien placés. On n’a pas besoin de verrouiller la clé pour maîtriser une personne.

On va développer un coté compassion dans un premier temps pour notre partenaire, parce que si on lui fait mal on risque de le blessé et il ne pourra plus s’entraîner. Mais je pense que le fait de travailler la notion de compassion est une seconde étape parce qu’on a tellement travaillé le côté destructeur, à un tel niveau, qu’au bout d’un moment on a plus envie de détruire. Cela nous arrive à tous, moi y compris, de faire mal involontairement et ça fait mal au cœur. Généralement ça partait simplement d’un travail et dans l’accélération la clé est passée trop rapidement, trop fort. Dans cette situation on ne se sent pas très bien car on a fait mal à quelqu’un et on compatit à sa douleur. C’est généralement pour ça que les experts arrivent à faire comprendre à leur partenaire qu’ils n’ont pas besoin d’aller plus loin. Ils connaissent la limite qui existe entre destruction et sauvegarde de l’intégrité physique de son partenaire. Je pense que c’est ça là la finesse des grands maîtres, d’être à la limite tout le temps. Au moment où ils peuvent faire mal, ils s’arrêtent et la personne qui est en face le sait. Ils ont atteint un tel niveau qu’ils peuvent épargner leur partenaire et lui faire comprendre qu’il a déjà perdu.

« C’est généralement pour ça que les experts arrivent à faire comprendre à leur partenaire qu’ils n’ont pas besoin d’aller plus loin. Ils connaissent la limite qui existe entre destruction et sauvegarde de l’intégrité physique de son partenaire »

 

Souvent on parle dans les arts martiaux de cette limite, cette ligne infime, qu’il y a entre la vie et la mort que l’on pourrait peut-être assimiler à la limite existant entre destruction et compassion. Selon toi, qu’est-ce qui pourrait expliquer cette volonté chez un adepte de faire évoluer sa pratique vers ce côté compassion ?

Tout dépend des raisons pour lesquelles on pratique. Après c’est l’éternel débat. Soit on veut travailler pour être en harmonie avec son corps, avec soi-même, à travers la pratique qui est dite martiale. Même si on est déjà passé par l’étape de destruction je pense qu’à un moment on en a assez et on veut avoir quelque chose d’harmonieux. Soit l’on veut rester dans le côté pragmatique et efficace. C’est très bien, il y a de tout pour tout le monde dans les arts martiaux. Lorsque l’on voit Ueshiba Senseï après la guerre, c’est des mots de paix qui sortait de bouche, mais de l’autre côté, on a des maîtres comme aux Philippines qui te parle du dernier combat qu’ils ont fait où ils ont égorgé une personne. On est donc vraiment dans deux extrêmes. Les arts martiaux sont intéressant car à l’intérieur il y a tout, le développement personnel, le développement physique, le développement morale, la société, l’amitié, la trahison. Quelque part, je dirai que c’est un microcosme de la réalité. C’est un choix personnel. Chaque pratiquant va choisir s’il désire rester dans le côté combatif ou tendre vers le côté compassion.

Chacun doit vraiment être en harmonie avec ce qu’il est réellement, ce qu’il veut avant tout. C’est le plus important.  Après, que les gens critiques ce qu’ils cherchent, c’est leur problème, je ne critique pas leur recherche. Je critique ma recherche, c’est ce qui m’importe. Je ne vais pas critiquer les autres, j’ai déjà du mal avec la mienne. Je vais donc laisser les autres faire leur propre chemin.

Aujourd’hui, tu pars régulièrement à l’étranger à la rencontre de maîtres pour suivre leur enseignement et tourner les documentaires En Terre Martiale. Du haut de ton expérience, pour le lecteur désireux d’aller étudier à l’étranger, que conseillerais-tu pour l’aider à préparer son voyage?

Dans l’idéal ce serait de toujours avoir un guide. Par exemple, au Japon c’est très rare que l’on soit accepté dans un dojo sans lettre de recommandation. Si on arrive au Japon et que l’on y arrive la tête enfariné, majoritairement on va se faire refouler. Il nous faut donc une lettre d’introduction. Généralement ce sont des experts qui y vont régulièrement ou des experts du pays qui vivent maintenant en France. Il faut voir avec eux s’ils acceptent que vous vous joigniez à lui pour ce voyage.

Il existe des voyages organisés avec ces experts, ce qui peut être un premier pas pour découvrir, se faire connaître auprès des maîtres et pour pouvoir peut être y revenir tout seul par la suite dans des conditions différentes.

On peut également trouver des stages en Asie, sur internet, mais tu ne sais pas vraiment sur quoi tu vas tomber, un club Med ou un vrai stage de pratique ? Je ne le conseille pas. Dans tous mes voyages/tournages En Terre Martiale, j’avais un guide, quelqu’un qui m’introduisait auprès des maîtres. Mais je devais toujours faire mes preuves auprès des maîtres pour qu’ils m’acceptent et enseignent.

Est-ce qu’il te semble nécessaire de partir s’entraîner à l’étranger pour progresser?

Je pense qu’à un certain moment ça doit démanger beaucoup de pratiquant d’aller s’entraîner dans le berceau de leur art martial. Ne serait-ce que pour voir comment ils travaillent sur place, voir si en Europe on travaille différemment, découvrir des secrets (rires). Généralement il s’agit surtout de confronter sa pratique à celle qui se fait dans le berceau. Mais pour la confronter, il faut aller dans un bon dojo. Je pense que cela serait bien que  chaque pratiquant aille un jour se rendre compte des différences : bonnes ou mauvaises. Ils pourront aussi voir qu’ils peuvent apprendre sans parler ou poser des questions, parce qu’en Europe on aime poser des questions. En même temps, on encourage souvent à poser des questions et c’est notre façon de penser, notre façon de vivre en Occident, mais pas en Asie.

Quelle différence y a-t-il dans l’approche pédagogique entre l’Orient et l’Occident ?

En Europe, à l’heure actuelle, car il y a cinquante ans ce n’était pas le cas, le professeur dit  «fais ça », l’élève va demander « pourquoi ? ». Il doit comprendre. En Asie, on apprend la sensation, le mouvement dans la répétition. Ils te montrent et ils s’en vont. Ils ne te laissent pas  le temps de poser ta question et si tu l’as pose il se retourne avec un regard qui te montre que tu ne devrais pas parler. S’ils te demandent de poser des questions là ok, il ouvre le débat donc tu peux parler. Dans le cas contraire tu n’as pas à poser de questions. Ils te laissent travailler, après ils reviennent.

Suivant les clubs, les dojos, ou les temples, ça peut être une demi-heure, une heure, deux heures ou une journée entière.

En Chine, il m’est arrivé de travailler un mouvement cinq heures avant d’être corrigé. Le maître est arrivé le matin, il m’a montré un mouvement, et il est revenu le soir. Je me suis donc entraîné deux heures et demie le matin, deux heures et demie l’après midi.  J’avais quasiment fini l’entrainement et il est venu me voir. Il me regarde et me fait « hum ce petit mouvement là, pas bien mais le reste c’est pas mal ».  On peut se demander «  Pourquoi il ne nous l’a pas dit avant ? »  Mais c’est peut être mieux ainsi, car je n’aurais peut être pas acquis ce qu’il considérait comme « pas mal » dans mon travail si je n’avais pas répété pendant cinq heures en essayant de trouver les choses par moi même.

Certains pédagogues disent qu’il est important de découvrir par soi même pour mieux intégrer les choses au lieu de seulement les comprendre intellectuellement. À force de chercher on comprend le cheminement pour « réussir » le mouvement. Une fois qu’on y est arrivé et que le corps a compris, on le reproduit plus naturellement.

Si on te dépose au sommet d’une montagne en te disant « voici le sommet, maintenant tu vas en bas de la montagne et tu la remontes mais cette fois-ci tout seul » et bien tu ne seras pas le faire. Mais si tu as déjà fait l’ascension à pied avec un bon guide,  tu seras mieux préparé pour le refaire une deuxième fois.

« Certains pédagogues disent qu’il est important de découvrir par soi même pour mieux intégrer les choses au lieu de seulement les comprendre intellectuellement. À force de chercher on comprend le cheminement pour « réussir » le mouvement. Une fois qu’on y est arrivé et que le corps a compris, on le reproduit plus naturellement »

 

L’entraînement personnel à l’air d’être une chose importante dans ton parcours. Comment s’organise ta pratique quotidienne?

Je suis quelqu’un d’assez instinctif, c’est pour ça que je suis un combattant. Dans ma relation avec les gens je me fie à mon instinct. Si je ne sens pas la personne, il faudra qu’elle me prouve que j’ai tort et ça prendra du temps. Pour mes entraînements c’est exactement la même chose.

Quand je m’entraîne seul, je fais ce que j’ai envie sur le moment. En générale, c’est quelque chose que j’ai travaillé récemment, qui m’a interpellé (en stage, en formation…), quelque chose qui trottine dans ma tête et que j’ai besoin de travailler, d’approfondir. J’ai mon carnet martial avec moi, je marque mes sensations, mes réflexions et le lendemain, si j’ai envie de reprendre ce travail, je vais continuer jusqu’à que je sois satisfait du résultat présent tout en sachant qu’il faudra que je revienne dessus plus tard. Si au milieu d’un entrainement je vois que cela ne donne rien alors je change d’exercice. Il y a des fois ça ne marche pas et tu t’obstines à vouloir faire fonctionner les choses mais tu perds ton temps car tu t’énerves et tu y arrives de moins en moins. Je pars du principe que si cela m’énerve, je dois arrêter pour mieux le recommencer lors d’une prochaine session. En général, cela va beaucoup mieux parce que je suis plus relâché et mon inconscient a continué à faire mûrir la réflexion.

Après lors de mes entraînements, je travaille surtout mes sensations. Quand j’ai des partenaires, ce qui est assez rare, je travaille avec lui sur son boulot. Je le fais travailler et moi je recherche autre chose sans le montrer. C’est ma façon d’enseigner. Quand je montre quelque chose je suis en train de travailler autre chose. Une sensation plus fine dans ce même mouvement. Cela me permet d’étudier continuellement et d’avoir toujours une longueur d’avance par rapport à mes gradés. En même temps, cela me permet de toujours tester sur quelqu’un sans qu’il sache ce que je travaille. J’ai ainsi un feedback instantané sur ce qui fonctionne ou pas. Je travaille toujours à partir des bases. C’est le pouvoir d’enseigner parce que malgré toi tu es toujours en train de reprendre et améliorer tes bases lorsque tu enseignes. Tu essaies toujours de les approfondir, ce qui te permet de consolider tes fondations. C’est pour cela que j’adore enseigner car cela m’apporte énormément dans ma pratique. J’aime enseigner, j’aime transmettre mais c’est aussi une source de mes progrès.

Pour toi, quel est l’ingrédient essentiel pour enseigner? 

L’envie.

Quel conseil donnerais-tu à de jeunes enseignants ou futurs enseignants? 

Enseignez avec votre cœur, enseignez seulement ce que vous connaissez. Vous avez le temps, soyez humble avec vous même, dites à vos élèves que de toute façon vous ne savez pas tout. S’il vous pose une question et que vous ne connaissez pas la réponse, n’hésitez pas à leur dire, et dite que vous leur donnerai la réponse une fois acquise. L’autre chose importante est de continuer à s’entraîner, cela paraît évident mais beaucoup trop d’enseignant ne le font plus. Si on ne s’entraîne plus, on transmet quelque chose qui est passé, on transmet une eau qui ne vit plus, une eau qui croupi au fur et à mesure des années. Non, il faut l’activer, il faut la tourner, la mélanger, la faire vivre. Avec le temps les choses s’affinent et évoluent. Personnellement, je n’enseigne plus de la même façon qu’il y a vingt ans, ce qui est normal en même temps. C’est important de ne pas rester figé dans son corps et dans sa tête.

Quels sont tes meilleurs souvenirs de tournage?

J’ai un souvenir qui me vient à l’esprit, c’est lorsque je suis parti aux philippines pour mon premier documentaire. J’ai fait six mille kilomètres et tout le voyage a été organisé par un maître aux philippines. Il ne me connaissait pas mais comme j’avais été introduit il s’est occupé de tout, mes billets, les hôtels, les trajets, etc… Chose à laquelle je n’étais pas habitué. Je pars donc en voyage et j’arrive à Bacolod. À mon arrivée, une personne vient me voir, me demande si je suis bien Lionel avec un anglais un peu chaotique, je lui réponds que c’est bien moi, il se présente puis je le suis. C’était le fils du maître, chose que je n’avais pas compris. J’arrive dans sa maison, à l’heure du souper et là il y avait toute la famille. Trois générations vivaient sous le même toit. Il y avait donc les grands parents, les parents, le maître et les enfants. Je mange avec eux, on discute un petit peu du tournage, car on débute le documentaire le lendemain, puis je leur dis « Très bien. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps et je vais aller à mon hôtel ». Le maître rigole et me dit « non tu ne vas pas à l’hôtel, on t’invite à la maison, tu restes avec nous ». J’ai donc vécu avec eux pendant deux jours. J’ai partagé une chambre avec les enfants, où j’avais un fin matelas à même le sol. Je me revois en train de me serrer pour dormir car il y avait les deux fils en train de ronfler à côté moi. J’étais au milieu, j’essayais de ne pas faire de bruit car dans la chambre d’à côté il y avait le maître avec sa femme, de l’autre côté son frère et sa sœur et en face il y avait le grand père et la grand mère qui dormaient. J’étais donc matin, midi et soir en leur compagnie. C’était absolument extraordinaire. Moi qui étais très difficile pour la nourriture, je me retrouve dans un pays qui mange du poisson et du riz à tous les repas. Je peux te dire que du poisson frit pour commencer la journée, il y a mieux. Ce fut très compliqué au début. Les premières bouchées furent un peu dures mais je m’y suis fait.

Au final, j’ai passé un excellent séjour et pour les remercier avant mon départ,  je les ai tous invité au restaurant. On est allé dans un petit restaurant du coin où il y avait des barils coupés en deux en guise de barbecue surmonté d’un grillage pour déposer les aliments. On a donc mangé dans un street food agencé avec quelques chaises en extérieur, quatre piquets avec de la tôle par-dessus. Nous avons passé une superbe soirée à boire et manger. Ils étaient super contant. Je crois que c’est un de mes plus beaux souvenirs de tournage. C’était vraiment un moment très inattendu.

Après, j’ai un souvenir plus culturel qui eu lieu à Shizuoka au Yoseikan dojo.  Quand je vais au Japon,  j’emporte toujours avec moi un présent parce que ça me fait plaisir d’arriver avec des produits locaux de Toulouse. Généralement, Sato San m’offre également un présent. Il savait que je pratiquais le karaté et cette fois-ci il arriva avec un paquet très lourd, format A4, épais de quinze centimètres. J’ouvre et découvre un livre de karaté en noir et blanc des années vingt. Surpris et gêné, je n’ai pas su quoi dire, ni comment le remercier, surtout que le cours avait commencé. En fait au Japon, du moins au Yoseikan Dojo, l’échauffement commence sans le senseï. Les élèves s’échauffent avant et le cours débute vraiment quand le senseï monte sur le tatami.

Je lui dis donc que je vais aller m’entraîner et il me dit « non non c’est bon » puis commence à discuter avec trois mot de français, trois mots d’espagnol et quatre mots d’anglais mélangés à du japonais, on arrivait à faire des petites phrases (rire). C’était marrant. Puis je vois Washizu Senseï qui arrive pour donner le cours et lui dis que je dois y aller. Juste avant de partir, il me demande « peux-tu me faire un kata ? », comme ça de but en blanc. Je lui réponds donc « oui, oui, après ». Je vais donc participer au cours et à la fin je me retourne en me disant « tiens c’est bizarre, Sato san n’est plus là ». D’habitude il reste mais cette fois-ci il était parti.

Le lendemain, il devait venir nous chercher mais c’était quelqu’un d’autre. Je trouvais cela vraiment étrange. Je discute donc Noryo san et lui fait part de mon inquiétude en lui expliquant ce qu’il s’était passé la veille. Il me regarde et me dit  « mais on ne dit pas « plus tard » ou « après ». C’est comme si tu lui avais dit non. » Il m’explique « soit tu dis « oui », soit tu dis « je vais le faire demain », mais tu donnes quelque chose de précis. « Plus tard », « après », non, c’est la même chose ». Sato san avait donc compris que je ne voulais pas démontré de kata.

Le soir je l’ai retrouvé au dojo. Je l’ai salué mais bon il n’était pas aussi expressif que d’habitude. Je me suis donc excusé en lui proposant un kata. Il me regarde en me disant « ah ! kata !  ». Je lui fais donc un kata et là c’était reparti. Après Noryo san est arrivé et lui a expliqué ce qui c’était passé. Même en étant très précautionneux, les erreurs culturelles arrivent. C’est donc pour cela que c’est important d’avoir un guide, quelqu’un qui nous dise qu’il y a des choses à faire et d’autres à ne pas faire.

Lionel Frdoirue au Yoseïkan dojo de Shizuoka avec Washizu Senseï

 

Quels est ton meilleur souvenir en tant que pratiquant ?

Je n’ai pas de souvenir particulier qui sort du lot. Il y a beaucoup trop de moment important dans ma vie de pratiquant pour m’en choisir qu’un. Mais si je devais t’en donner plusieurs ce serait : intégrer l’équipe de France, donner mon premier cours en temps que brevet d’état, m’entraîner dans le berceau de ma discipline à Okinawa, co dirigé un stage avec mon père, vivre tous les jours ma passion.

Un dernier mot pour le lecteur avant clôturer cette interview ?

Merci Alexandre de mavoir donné la possibilité de partager ma passion et ma vie. Et je terminerai avec : « Pour être un pratiquant il faut pratiquer. Alors pratiquons ! » Bon entraînement à tous.

Merci Lionel pour tes réponses et ta disponibilité.

Pour en découvrir davantage sur les aventures, réflexions et événements organisés par Lionel, n’hésitez pas à vous rendre sur son blog.

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