Interview Leslie James, les arts martiaux comme outil éducatif

Si malheureusement la période actuelle a eu un impact sur nos pratiques associatives, elle a été l’occasion d’aborder nos activités différemment. Bien sûr rien ne remplace la pratique en présentiel avec ses enseignants et partenaires, toutefois j’ai la candeur de croire qu’en toutes circonstances il nous est possible de continuer à progresser. Pour ma part, cela s’est traduit par une diversification de mes cessions d’entrainements alternants entre un travail de renforcement-entretient, de motricité, de proprioception et d’AM. En parallèle cela a été l’occasion découvrir et d’échanger avec des pratiquants dont le parcours et l’expertise forcent l’inspiration.

Leslie James fait partie de ces adeptes que j’ai eu le plaisir de découvrir. Pratiquant de Yoseikan Budo et de MMA, il est un combattant confirmé cumulant plusieurs titres nationaux et internationaux. Sa curiosité et son goût pour les rencontres, l’emmèneront à créer « The Peach Pack » avec sa compagne qui les conduira à voyager aux quatre coins du globe pour découvrir, s’entrainer et approfondir leurs compétences. Voyage qui les amènera à la découverte du Sumo au Japon, du Mepantigan en Indonésie, de la Boxe anglaise à destination des personnes atteintes d’Alzheimer ou encore du MMA pour des personnes en situation d’handicap aux USA

Aujourd’hui éducateur spécialisé, il partage le fruit de son expérience auprès de publics variés avec comme outil éducatif les arts martiaux.  

Comment et quand as-tu débuté les arts martiaux ?

J’ai débuté les arts martiaux par le Karaté quand j’avais 13 ans. Je pense que c’est « Dragon ball » qui m’a donné envie de pratiquer un art martial. Je voulais devenir fort comme Sangoku et affronter les meilleurs combattants. C’est avec cet état d’esprit que j’ai débuté et c’est ce qui m’a toujours poussé à chercher à m’améliorer, même aujourd’hui.

Je me suis donc très vite dirigé vers la Boxe Anglaise que j’ai pratiquée pendant toute mon adolescence. J’aimais beaucoup l’ambiance du Karaté et ses traditions comme le salut, le kimono, etc., mais j’avais besoin de plus de contact. Le noble art m’a permis de me défouler et d’extérioriser la colère que j’avais en moi. Je me suis ensuite naturellement dirigé vers des styles plus complets comme le Yoseikan Budo et le MMA.

Tu as également pratiqué dans plusieurs styles en compétition ?

Oui, et parfois dans des disciplines avec différentes règles comme en Yoseikan Budo, en Kempo, en Full Contact, en Kick Boxing, en BJJ, en Grappling et bien sûr en MMA.

Mon professeur de Yoseikan Budo nous poussait à participer à différentes compétitions pour tester nos techniques face à des adversaires aux profils différents.

Qu’est-ce que cela t’a apporté ? Quelles étaient tes motivations ?

Je voulais devenir une meilleure version de moi-même. Ce que j’aime dans le combat c’est qu’on ne peut pas se mentir, tu dois être dans le moment présent. La compétition est pour moi un endroit où tu te retrouves face à toi-même.

Pour toi le passage par la compétition est-il un élément important pour progresser ?

Je pense qu’effectivement c’est un élément important. En compétition, tu gagnes ou tu apprends… Lorsque tu montes sur le ring, le contexte est différent de celui de l’entrainement où tu connais tes partenaires… C’est un bon moyen d’apprendre à gérer nos émotions face au stress et l’inconnu! Quand tu as quelqu’un en face de toi qui veux te mettre KO, tu dois être le plus efficace possible que ce soit techniquement, physiquement et mentalement.

Tu constates aussi quelles techniques marchent pour toi ou quelles techniques ne marchent pas dans un combat. Après c’est important de garder un certain recul vis-à-vis de la compétition car ce n’est qu’un élément d’étude parmi d’autres qui ne reflète pas la réalité d’un combat de survie. C’est important de garder à l’esprit qu’un art martial doit rester le plus pragmatique possible dans une situation de vie ou de mort.

Que t’as apporté la pratique du Yoseikan Budo ?

Beaucoup de choses mais je dirais qu’en premier lieu ça m’a énormément apporté sur l’ouverture d’esprit, la pédagogie et la faculté d’adaptation.

La faculté d’adaptation est un élément central du Yoseikan Budo. Pour toi quelle est l’importance de développer notre faculté d’adaptation ?

Je pense que c’est essentiel pour pouvoir progresser et devenir un meilleur artiste martial dans notre pratique. Cette faculté d’adaptation est également importante dans la vie de tous les jours car quel que soit tes projets il y a toujours un juste milieu à trouver entre préparation, prévision et adaptation aux imprévus.

Comment la développer ?

Avant toute chose, je pense que son développement nécessite de cultiver notre ouverture d’esprit. Cela implique donc de ne pas hésiter à rencontrer d’autres pratiquants et découvrir d’autres styles d’arts martiaux. Cela va nous permettre de nous remettre en question en testant ce qui marche ou pas avec tel style ou tel gabarit.

Finalement cela va nous permettre de sortir de notre zone de confort qui est une condition essentielle pour progresser. Bien sûr, il faut trouver un juste équilibre entre notre zone de confort et notre zone de non-confort à l’entrainement afin de rester dans une zone d’apprentissage porteuse qui va nous permettre de progresser sans être dégouté.

Peux-tu nous parler des principes majeurs de cette école ?

C’est un art martial japonais complet créé par maitre Hiroo Mochizuki. On y pratique le pieds-poings, la lutte debout et au sol ainsi que les armes traditionnelles japonaises comme le sabre.  Je trouve que c’est un bel équilibre entre traditions et sports de combat. L’école Yoseikan Budo est un laboratoire de recherche qui est en constante évolution, où rien n’est figé. La pratique de cet art est un excellent moyen de développer sa créativité car à travers ses principes elles te donnent une infinité de possibilités concourant à la libre expression de chacun.

Il ne s’agit toutefois pas d’une disciplines où l‘on fait un peu de tout par effet de style en y ajoutant à chaque fois de nouvelles techniques. L’ensemble des techniques étudiées sont basées sur le principe du mouvement ondulatoire qui va être le liant de tout cet ensemble. À partir de ce principe les techniques vont prendre vie et on découvre progressivement qu’à partir d’un seul mouvement corporel tu vas avoir une multitude de possibilités techniques debout, au sol, avec et sans armes.  Le mouvement ondulatoire permet également d’optimiser notre puissance. Par exemple lors d’un coup de poing, il va permettre à l’ensemble des segments de notre corps de se coordonner et « s’aligner » afin d’utiliser tout notre corps dans la technique et d’accélérer le mouvement. Ce n’est pas juste tendre le bras ou engager le haut du corps pour frapper, il y a une transmission et génération de puissance qui part du pied jusqu’à la main.

C’est vraiment un principe au cœur de l’école qui est enseigné dès le début et qui va être le fil conducteur de l’apprentissage.

En parallèle tu as également fait des études en tant qu’éducateurs spécialisés ?

Oui, je suis éducateur spécialisé. Je travaille depuis quelques années avec des adolescents placés par le juge ou délinquants. J’ai également travaillé en prison pour mineur, que l’on nomme IPPJ en Belgique.

Les arts martiaux ont un intérêt éducatif majeur dans ce contexte. Peux-tu nous en parler ?

Beaucoup de jeunes ayant eu affaire à la justice sont souvent des jeunes qui ont une profonde colère en eux liée une enfance difficile voire chaotique. Bien souvent, ils ne savent pas comment exprimer cette colère autrement que par la violence. La pratique d’un art martial ou d’un sport de combat va être un espace bienveillant et sécurisant où ces jeunes vont pouvoir exprimer cette violence sans faire de mal à autrui ou à eux même… Après plus de 7 ans d’expérience, j’ai pu constater que ces jeunes vont arriver, en quelques séances, à se canaliser et mieux gérer leurs émotions.

En quoi les arts martiaux t’ont apporté dans ta démarche professionnelle ?

C’est un outil que j’utilise tous les jours sur le terrain.  Cet outil me permet de créer un lien éducatif avec les jeunes dont je m’occupe. Ils ne peuvent plus mentir quand ils sont face à moi.  Le masque du « caïd » tombe et on peut découvrir leur vraie personnalité. À partir de cet instant, il y a une connexion qui se crée entre nous et une forme de respect mutuel qui s’instaure qui va nous permettre d’avancer ensemble.

À travers cet outil les jeunes vont pouvoir s’exprimer, lâcher prise en évacuant cette violence, puis la dompter et l’apprivoiser. J’ai par exemple déjà eu des jeunes qui avaient subis des violences et ne parvenaient pas à mettre des mots sur celle-ci. Après une bonne séance, ils se défoulent et laissent exprimer leur corps qui a besoin de se décharger. Souvent après quelques séances de ce type, ils parviennent petit à petit à mettre des mots sur cette souffrance, ce qui va être un moteur pour les aider à progresser.

Quels types d’exercices pratiques-tu avec eux ? Quels sont leurs objectifs ?

Les exercices sont bien sûr très variables selon les profils de chaque jeune. Je construis toujours mes séances par rapport à un objectif éducatif. Par exemple pour travailler le défoulement, je vais travailler avec des paos ou sacs de frappes. Je vais leur demander de frapper le plus vite possible en 10 secondes, de penser à quelque chose qui est difficile pour eux émotionnellement et de lâcher prise lorsqu’ils frappent. Je m’adapte vraiment aux besoins du jeune et de l’institution.
Pour les personnes ayant un handicap mental, je vais par exemple axer le travail sur la mémorisation, la coordination et la psychomotricité avec comme support des mouvements d’arts martiaux.

Pour toi, quelles sont les valeurs importantes que transmettent les arts martiaux ?

Il y en a tellement… mais je pense que la pratique d’un art martial permet de développer des valeurs telles que l’humilité, l’empathie, le respect et le dépassement de soi.

Comment adaptes-tu le contenu de tes cours au vu de la diversité de ton public ?

Avec « The Peach Pack », je travaille avec des publics très différents comme la psychiatrie, le milieu carcéral, le handicap mental et moteur, des enfants réfugiés et des enfants placés par le juge. J’interviens également dans le milieu scolaire pour prévenir le harcèlement scolaire avec toujours comme outil les arts martiaux.

J’adapte donc le contenu de mes cours et objectifs éducatifs par rapport aux demandes des institutions et la spécificité du public. On ne travaille pas de la même façon avec un jeune issu du milieu carcéral, qu’une personne ayant un handicap mental ou physique, ou avec un jeune en milieu scolaire. Il y a des besoins institutionnels auxquels je dois répondre et parallèlement celui du public avec ses caractéristiques. Je dois donc composer avec les deux

Avec ton épouse tu as créé l’association The Peach Pack. Comment est né ce projet ?

À la suite des attentats de Bruxelles… Nous étions sur place et nous avons eu beaucoup de chance. À dix secondes près, nous ne serions sans doute pas là aujourd’hui…  C’est dans ces moments que tu te rends compte que la vie ne tient qu’à un fil. À partir de ce jour, nous avons écrit avec mon épouse les dix choses que nous souhaiterions faire avant de mourir. Nous voulions faire un tour du monde et je voulais m’entrainer et apprendre différents styles d’arts martiaux dans chaque pays du monde. Nous avons donc construit ce projet pendant deux ans avant de partir.

On voit aujourd’hui beaucoup de personne vendre des méthodes miracles de self-défense, de survie, ou de méthode « militaire » au grand public. Cette triste expérience que sont les attentas de Bruxelles t’a telle permis de voir la pratique des arts martiaux autrement ?

Écoute, quand tu es dans un attentat, tu as beau être champion du monde de MMA ou expert en self défense, si la bombe explose à côté de toi… tu meurs… Je pense que cette expérience m’a permis de relativiser sur la vie en me disant qu’à tout moment tout peut s’arrêter.

D’un point de vue martial, cela m’a permis de me fier davantage à mon instinct car ce jour-là, mon épouse n’arrêtait pas de me dire «  Leslie, dépêche-toi, je sens une tension dans l’aéroport… Il y a quelque chose de bizarre ». Avec le recul je pense que nous a survécuce jour-là parce que nous avons écouté son instinct.

En quoi consiste votre projet The Peach Pack?

Le but de ce voyage était de découvrir des personnes à travers le monde qui utilisent les arts martiaux comme outil éducatif ou thérapeutique. Nous voulions aussi mettre en avant les bienfaits des arts martiaux peu importe le style, la culture et le lieu. Nous avons également créé une chaine Youtube pour proposer des reportages alliant les arts martiaux, le voyage et la famille afin de toucher le plus de monde possible.

Nous avons par exemple découvert le Mepantigan en Indonésie qui est pratiqué dans l’école la plus verte au monde, de la maternelle à la secondaire, le Tai Chi à Hong Kong, la Boxe Anglaise pour ralentir les effets de la maladie de Parkinson en Australie, le MMA pour des personnes en situation d’handicap aux USA.

L’objectif était aussi de pouvoir partager à notre retour ce que nous avions appris pendant notre périple. Aujourd’hui, nous avons créé un nouveau projet dans la continuité de « The Peach Pack » appelé « Domomojo » qui allie les arts martiaux, leur dimension éducative et la nutrition.

Quels effets a la pratique de la Boxe Anglaise sur la maladie de Parkinson ? Comment est abordée cette activité avec les personnes atteintes de Parkinson et quels sont les bienfaits observés ?

Nous avons par exemple rencontré une personne avec la maladie de Parkinson qui après trois semaines d’entrainement à raison de trois fois par semaine pouvait à nouveau lacer ses chaussures… Nous avons découvert que la pratique du sport permet de ralentir les effets néfastes de la maladie.

L’entrainement est le même qu’un boxeur, mais sans les sparrings, avec des exercices de coordination et de psychomotricité fine.

Peux-tu nous parler de ce nouveau projet : Domomojo ?

Avec mon épouse, qui est diététicienne et experte en santé publique, nous avons toujours eu le projet d’ouvrir notre salle d’arts martiaux en alliant nos expériences et nos compétences.

Ce nouveau projet comporte trois volets : les arts martiaux, la nutrition et le projet The Peach Pack. Domomojo signifie en japonais, le lieu de la voie pour avoir la pêche !

Avec la crise sanitaire, nous proposons un suivi diététique et des programmes sportifs basés sur les arts martiaux en ligne.


Tu as eu l’occasion de voyager dans plusieurs pays et découvrir différentes cultures autours des arts martiaux. Qu’est-ce qui t’a le plus interpellé dans leurs différences ou ressemblances ?

L’ouverture d’esprit! Nous avons été chaque fois accueillis les bras ouverts peu importe le style ou la culture du pays. C’est sûr qu’il y a des différences dans les entrainements comme le Muay Thai et le Tai chi mais il y a un but commun, le fait d’être un meilleur être humain.

Quelles différences dans les entrainements as-tu pu observer ou vivre ?

Le Tai Chi a une méthode plus interne, plus douce et solitaire tandis que le Muay Thai va être plus intense, parfois dure et davantage dans la confrontation en compétition tout en ayant ce même but commun.

Au niveau culturel ?

En Asie, il y a beaucoup de reconnaissance et de respect pour les pratiquants d’arts martiaux alors que c’est moins le cas dans les pays occidentaux car c’est moins connu et aux centres de la culture.

Est-ce que cela n’a pas été trop difficile de s’intégrer à une culture et les cours d’arts martiaux dans différents pays ?

Non, je n’ai pas eu de grosses difficultés à m’intégrer surtout quand tu viens en famille. Les locaux t’acceptent beaucoup plus facilement… C’est vraiment lors de ce voyage que j’ai réellement pris conscience de la richesse du Yoseikan Budo qui m’a permis de m’adapter en toute circonstance peu importe l’art martial que je découvrais.

Quel est ton meilleur souvenir en tant que pratiquant ?

Il y en a eu beaucoup mais j’en ai un que je retiens particulièrement. Au Japon, nous avons suivi une équipe féminine de Sumo car c’est assez tabou là-bas et nous nous intéressions à la place de la femme dans ce sport.

Après avoir filmé une séance d’entrainement avec les filles à l’université de Kyoto, il y avait les hommes qui s’entrainaient. C’était des semi-professionnels qui pesaient environs 120 kg chacun. Je leur ai expliqué le projet en leur disant que j’étais également combattant d’arts martiaux mixtes et ils m’ont directement invité à m’entrainer avec eux. Je pense que j’étais le premier non japonais à m’entrainer avec eux. Cela a été une expérience incroyable!

Comment s’est passé l’entrainement ? J’imagine que cela n’a pas du être évident de s’entrainer avec de tels gabarits sur leur terrain de jeu ?

Les lutteurs ont vraiment été accueillants et bienveillant avec moi. Ils m’ont présenté les techniques de base du Sumo et lorsque nous luttions, ils me laissaient travailler.  C’est un art martial vraiment intense et la pratique se fait sur un sol dur donc ça peut vite faire mal quand tu as seulement l’habitude des tatamis.

Les exercices d’échauffements sont très difficiles et répétitifs. Ils font les même à chaque entrainement pendant 45 minutes. On y retrouve notamment des exercices  comme Shiko où tu montes très hauts ta jambe et tu frappes le sol avec le pied en redescendant, mais également des exercices de poussée qu’ils réalisent durant 20 minutes. Leur séance se poursuit ensuite par des combats à thème puis un retour au calme constitués de divers étirements pour terminer.

Quel est ton meilleur souvenir de voyage ?

Il y en a tellement mais je pense que c’est de pouvoir partager tous ces moments magiques avec mon fils de 2 ans et mon épouse.

Un dernier mot pour terminer ?

La grosse pêche ! Merci à toi pour cette interview et à ceux qui me donne la pêche depuis le début !

Pour découvrir le projet Domomojo:

https://artsmartiaux.domomojo.com
Vidéo de présentation

La chaîne Youtube The Peach Pack

Laisser un commentaire