Yashima n°19 : Musubi 結び, l’âme du budō

Au crépuscule de sa vie, un maître de sabre rassembla ses trois meilleurs disciples afin de choisir son successeur. Le rendez-vous eut lieu devant un enclos non loin du village. À l’intérieur on pouvait observer un jeune et vigoureux étalon chez qui la présence des hommes provoquait une certaine agitation. Le maître demanda à ses élèves d’entrer dans l’enclos et d’en ressortir après avoir fait le tour du pur-sang.
Le premier pénétra dans l’enceinte et s’approcha avec malice. Le souffle du cheval s’accentua à mesure que la distance entre eux diminuait, et finit par se cabrer violemment. Le jeune samurai esquiva avec un sens du timing et une agilité hors du commun avant de ressortir de l’enclos sans la moindre égratignure.
Le second disciple opta pour une stratégie plus incisive. Il marcha avec détermination vers l’équidé, et à quelques mètres de celui-ci fît mine d’attaquer en poussant un puissant kiai. Surpris, l’animal recula et le laissa passer.
Quand vint son tour le troisième disciple avança avec calme et légèreté. Sa présence ne dérangea pas l’étalon qui resta indifférent. Il se dégagea de la scène un sentiment d’harmonie.
Le maître reconnut la virtuosité des deux premiers élèves, mais apprécia plus encore la capacité du troisième à entrer en harmonie, au point de faire disparaître toute forme de dualité. Une capacité qui transcendait les prouesses techniques et physiques. Au vu de cette démonstration de musubi, le choisir pour héritier.
Les techniques et principes des traditions martiales sont imprégnées du terreau culturel dans lequel elles évoluent. Ainsi on retrouve dans les arts martiaux japonais nombre de principes liés au shintō tels que musubi, illustré par le conte ci-dessus.
MUSUBI ET SHINTOÏSME
Le musubi 結び est un élément fondamental de la tradition shintō. Dans son sens premier, il signifie unir, combiner, ou encore lier l’un à l’autre. Il exprime également l’idée de création. Il n’est donc pas anodin de retrouver dans deux des trois noms des Sōzō Sanshin 創造三神, « les trois esprits de la création », le terme de musubi (Takami Musubi no Kami 高御産巣日神, le kami créateur de merveilles – Kami Musubi no Kami 神産巣日, lekami créateur de trésors).
Il implique à la fois l’idée de création d’un lien, d’une union entre divers éléments, mais aussi l’émergence de nouveaux éléments à partir de cette union.
Si ce principe est au cœur de la culture, et donc des arts martiaux japonais, il est intéressant d’observer leurs manifestations au sein de traditions issues d’horizons différents. On note alors que, sans doute moins théorisée, cette notion y est aussi présente et importante.

LA RECHERCHE D’UN IDÉAL
En dehors du cadre religieux, musubi est présent en filigrane dans de nombreux textes tels que les Bugei shichisho 武経七書, les 7 traités de la Chine ancienne, les écrits de Takuan Sōhō, de Miyamoto Musashi, de Itto Ittosai, etc. Cette notion y est explorée sous de multiples angles tels que hyoshi (rythme, cadence), nagare (la continuité), maai (la maitrise des distances), de mikiri (les capacités de perception et de discernement), mushin (l’esprit vide), etc. Des thématiques que nous nous employons à approfondir dans chaque numéro de Yashima.
Au cours des derniers siècles, l’importance de concept de musubi fut telle qu’il est devenu un idéal à atteindre, manifesté par les démonstrations de Ueshiba Morihei ou Mifune Kyūzō.
À l’image du troisième samurai, chacun d’eux dépassait la dualité, chaque mouvement débarassé d’une volonté de faire, se réalisait dans l’harmonie.
DU GUERRIER À L’ÂME DU BUDŌ
Bien plus qu’un simple principe, musubi est la transcendance de la dualité. Au plus haut niveau, ce concept permet d’apporter la réponse juste à chaque situation, notamment quand cela est possible, d’éteindre le conflit avant qu’il se manifeste physiquement.
Mais musubi est-il la conséquence d’une maîtrise de l’ensemble des concepts et principes d’une école ? Où, un élément indispensable au cœur de chaque principe que nous étudions ? Selon les écoles, quelle est son importance dans la formation du pratiquant ? Finalement, quelle place musubi a-t-il dans nos pratiques actuelles ? Et, comment se manifeste-t-il ?
Autant de questions cruciales pour notre cheminement, pour lesquelles Ludociv Rallo, Benjamin Boehli et Gilles Rettel, nous apportent un éclairage précieux.
Retrouvez également dans ce numéro, un poignant hommage à Yamada Yoshimitsu senseï par Léo Tamaki, une interview de Kanazawa Nobuaki par Emmanuel Agletier, sans oublier l’excellente chronique santé de Thibaut Chatry ou encore la chronique de Sergio Boffa sur le sabre japonais et bien d’autres articles tout aussi riches.

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