Yashima Magazine: Kime 決め – l’instant ultime

Le duel était fixé à huit heures sur l’île de Mukōjima. L’un des bretteurs était Ganryū Kojirō, l’une des plus fines lames de son temps. Ce jour-là, il arriva aux aurores. Mais alors que le ballet flamboyant fait place à l’azur éclatant d’une radieuse journée, pas l’ombre d’un duelliste à l’horizon.

Kojirō s’installe alors sur un large rocher pour patienter. Quelques heures plus tard, son adversaire arrive enfin. Il descend de la chaloupe, le sabre de bois qu’il vient de se tailler à la main.

Quelques instants plus tard, le corps de Kojirō, terrassé par Musashi, s’écroulerait sur le sable…

Les versions de la rencontre entre Miyamoto Musashi et Sasaki Kojirō sont nombreuses, mais leur issue reste inchangée. Musashi remporta le duel. Et ce combat légendaire illustre la notion de kime dans toutes ses dimensions.

Kime 決め, généralement traduit par décision ultime, est la manifestation de l’efficacité maximale des techniques guerrières. Notion qui prend une importance particulière au sein d’écoles de Karate ou de disciplines de sabre telle que le Kendō. Et son absence dans le champ lexical d’autres traditions martiales n’est pas pour autant synonyme de son absence.

KIME, DÉCISION ULTIME

Nos décisions ont des conséquences. Si Musashi n’avait pas fait le choix de se tailler un bokutō plus grand que la normale, l’issue de sa rencontre avec Sasaki Kojirō réputé pour son utilisation d’un sabre long aurait probablement été différente. De même le retard de Musashi déstabilisa-t-il sans doute son adversaire avant même que le combat fut engagé.

Musashi fut, sa vie durant, un fin stratège, et sut surprendre avec brio. Réfléchissant soigneusement à chaque duel quand d’autres misaient tout sur leurs maîtrise technique pour vaincre, il eut l’intelligence d’anticiper les réactions et de dérouter ses adversaires.

Son approche du combat n’est pas sans rappeler nombre de préceptes du traité militaire de Sūn Zi : « Si vous connaissez votre ennemi et vous vous connaissez vous-même (sous-entendu les points forts et les points faibles) vous n’avez pas à craindre la défaite d’une centaine de batailles »[1].

Quiconque affrontait Musashi ne pouvait compter sur sa simple maitrise technique, et le combat était de fait engagé bien avant le jour de la rencontre. Pour autant, les choix de Musashi ne sont évidemment pas les seuls paramètres expliquant son efficacité et ses victoires.

LA NOTION D’ACTION DÉCISIVE

Au regard du nombre de duels remportés par Musashi, il est évident que ses victoires n’étaient pas simplement le fait de ses indéniables capacités de stratège. La réalité du combat de survie, une fois la stratégie mise en place, nécessite nombre de compétences acquises par un entrainement rigoureux, dont plusieurs que nous avons traitées dans le thème central de Yashima (hyōshi, yomi, sakki, shintai tanren, seishin tanren, mushin, etc.). Une fois le combat entamé, la rapidité de l’action ne laisse que peu de place à la réflexion. Elle nécessite un esprit et un corps capable d’agir, de s’adapter dans l’instantanéité de l’action. 

La notion de kime peut-elle donc être à la fois l’expression de l’efficacité maximale et en même temps se traduire simplement par décision ultime ?

Au niveau sémantique, nous retrouvons bien évidemment le terme kimeru 決める, décider. Cependant, le premier kanji 決comprend non seulement l’idée de décision mais également de détermination. En remontant un peu plus loin, le pictogramme chinois à l’origine de ce kanji exprime à la fois l’idée de décision, de créer une brèche dans un cours d’eau, de victoire et de mise à mort. Il exprime donc également le caractère de ce qui est décisif et irréversible. On retrouve notamment ce kanji dans le terme 決戦, kussen, signifiant combat décisif ou bataille décisive.

La notion de kime peut donc à la fois désigner l’acte de décision mais également le caractère de ce qui est décisif et met fin au combat. Kime est ainsi l’action ultime ou encore l’instant ultime.

KIME, MANIFESTATION ULTIME DE L’EFFICACITÉ

L’idée d’action ultime, ou instant ultime, est intéressante à plusieurs niveaux car elle englobe l’ensemble des éléments nécessaires à la victoire :

– analyser son adversaire en amont ;

– mettre en place une stratégie ;

– décider ;

– développer le sens de la détermination ;

– développer par l’entrainement un corps et un esprit capables d’agir et s’adapter dans l’instantanéité de l’action.

En outre, il n’est pas tant un principe à mettre en place pour atteindre l’efficacité, mais l’expression de l’ensemble de tous ces paramètres réunis, convergeant vers l’efficacité ultime. Le kime est la manifestation de la maitrise du budōka.

Pour autant, comment se manifeste le kime selon les spécificités de chaque discipline ? Quels sont les processus stratégiques et tactiques mis en place pour submerger aite ? Comment l’entrainement nous permet-il de réaliser in situ cette action ultime qui mettra fin irrévocablement au combat ?

Quatre experts partagent leurs réflexions autour de ce concept passionnant, quête de tous pratiquants.

Retrouver également la présentation de ce nouveau numéro par Xavier Duval rédacteur en chef de Yashima.

Didier Beddar par Stéphane Remael pour Yashima



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[1] L’art de la guerre de Sun Zi fait partie des Bugei shichisho 武経七書, les sept traités militaires de la Chine ancienne. Le Bugei shichisho faisait partie intégrante de l’étude des premiers koryū.

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