YASHIMA MAGAZINE : KUZUSHI 崩し – ABATTRE LA MONTAGNE

Le kanji kuzushi, dans sa version moderne, en style scripte (Kaisho) se compose de la montagne surmontant deux lunes. Je ne comprenais pas très bien ce que ces deux lunes venaient faire sous la montagne… En faisant des recherches dans les 5 styles de base (Kaisho, Gyōsho, Sōsho, Reisho et Tensho – ce dernier étant le plus ancien), je me suis aperçu qu’il ne s’agissait pas de lunes mais de ravines creusées par la pluie. La paroi de la montagne s’effondre, d’où « démolir, abattre, détruire ». Pascal Krieger pour Yashima

Dès nos premiers pas tout est une affaire d’équilibre. Nous prenons progressivement conscience de nos déséquilibres, de notre corps dans sa globalité. C’est l’aboutissement d’une première étape, celle qui marquera notre passage du sol à la quadrupédie puis à la station debout après des mois d’explorations.  Nous partons alors à la conquête de notre stabilité qui sèmera au fil des semaines les graines de notre autonomie pour apprivoiser le monde qui nous entoure.

Paradoxalement, cette phase d’appropriation passe inévitablement par l’acceptation du déséquilibre. Chute après chute, essai après essai, nous domptons ce corps qui nous échappe pour finalement faire de l’équilibre un moteur de notre quotidien, un socle dont l’effondrement entachera inévitablement notre stabilité physique et émotionnelle. Un exemple simple que tout le monde aura sans aucun doute vécu permet de l’illustrer : marchant dans la rue sans même me soucier d’où mettre mes pieds, je rate brusquement une marche… S’ensuit, en une fraction de seconde, un moment d’instabilité : mon corps cherche à éviter la chute, mon esprit s’agite quelques instants face à cette perte d’équilibre perçue inconsciemment comme une vulnérabilité.


Kuzushi, abattre la montagne

Kuzushi 崩し, tire ses racines du verbe kuzusu 崩す, démolir, raser, et se traduit généralement dans le domaine des budos japonais par déséquilibrer, plus rarement par abattre, démolir. Dans les traditions martiales c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit : abattre-démolir aïte, sa structure, son intégrité et par conséquent son équilibre.

Concept basique s’exprimant au travers de diverses méthodes selon les écoles, de la plus primaire à la plus sophistiquée, de la plus violente à la plus fine, elle est généralement abordé par son aspect purement physique au travers de la célèbre maxime Tsukuri- Kuzushi-Kake que nombre d’entre nous connaît. Pour autant, le Kuzushi ne s’exprime-t-il qu’à travers l’expression d’un enchainement d’actions technique? Est-il une finalité ou au contraire l’élément indispensable, dès le début d’une rencontre, pour rétablir un certain équilibre ? Qu’implique sa/ses mise(s) en œuvre ? Nécessite-t-il seulement de suivre une somme de mécanismes ou une adaptation profonde à la situation ? Pour terminer, déséquilibrer aïte ne demanderait-il pas en premier lieu une connaissance fine de soi pour développer une conscience de la stabilité et de l’instabilité de l’autre?

Photos Stéphane Remaël pour Yashima

Le paradoxe des principes des bujutsu appliqué aux budo

Bien sûr,nous ne pratiquons plus aujourd’hui pour mettre notre vie en jeu, et par chance la majorité d’entre-nous n’aura jamais à en éprouver la violence et les conséquences auxquelles seule la folie ose aspirer.

Pour autant, l’étude du kuzushi dans toutes ses dimensions – physique, stratégique, tactique – offre à chacun la possibilité d’apprendre à se connaître en profondeur pour dompter les failles qui entravent notre recherche du juste équilibre dans tous les aspects de notre vie. À l’image de l’apprenti joueur d’échecs qui se voit abusé de ses propres failles par l’expert, il construit avec le temps un jeu équilibré lui permettant à son tour d’accepter ses failles, de les combler, voire d’en user, puis d’abuser des failles adverses voire de les créer.  C’est une finesse de l’esprit que tout joueur occasionnel aura pu éprouver face à un joueur régulier. Toutefois, dans le cadre de la pratique des arts martiaux, comment peut-elle nous accompagner dans cette recherche ? Que propose tel de différent dans un dialogue qui n’est pas seulement un jeu de l’esprit mais la rencontre des corps en mouvement ?

 Au regard de la situation actuelle que nous traversons, notre stabilité quotidienne perçue est grandement altérée et remet en perspective notre conception de celle-ci. Toutefois, nul doute que l’étude des arts martiaux peut nous aider à conserver un équilibre juste malgré les aléas. En ce sens, il nous a paru intéressant d’aborder dans ce nouveau numéro de Yashima le thème de Kuzushi.

Nous espérons que ce thème vous apportera autant de plaisir en le parcourant que nous en avons eu à travailler sur ce nouveau numéro.

Retrouvez dans ce numéro :

– Kuzushi, calligraphie et réflexion – Pascal Krieger
– Kuzushi, au confluent des principes fondamentaux de l’Aikidō – Daniel Toutain
– Kuzushi, déstructurer aite dans toutes les dimensions : corporelles – stratégiques – tactiques – Patrick Roux
– Kuzushi, la transformation silencieuse – Matthieu Debas
– L’art du kuzushi en Aikidō – André Cognard

 

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