Les arts martiaux traditionnels sont-ils voués à disparaître?

Il y a deux mois j’ai eu le plaisir d’être contacté par Julien Boucher pour participer à la série d’entretiens qu’il réalise avec plusieurs enseignants et pratiquants. Fondateur de Ronin Martial  Production, Julien est un jeune adepte passionné dont j’apprécie particulièrement la curiosité, la soif d’apprendre et de partager. À cette occasion, nous avons abordé la question de l’évolution des arts martiaux et le débat récurrent sur l’éventuelle disparition des arts martiaux traditionnels à long terme. Si c’est un sujet délicat où les avis s’opposent, et avec lequel je marche sur des œufs,  c’est toutefois un sujet qui revient régulièrement sur la toile à une époque où la dimension sportive semble parfois être à son paroxysme.

  » Pour vous ? Comment évoluent les arts martiaux ?

Ils évoluent et je pense que c’est une bonne chose.

Dans les arts, il y a cette idée de mouvement et d’évolution perpétuelle. La base de tout art c’est d’amener l’individu à s’exprimer librement, improviser avec ses acquis, s’adapter et créer dans la singularité de l’instant en lien avec son environnement. Il me semble donc normal qu’ils évoluent.

Après est-ce qu’ils évoluent dans le bon sens ou non ? Je pense qu’il y a du positif et du négatif en tout et que chacun est libre d’y trouver ce qu’il souhaite.

J’entends régulièrement des discussions sur le fait que « les arts martiaux évoluent dans la mauvaise direction », que « ce n’est plus ce que c’était », etc.  C’est finalement le cycle de la vie, toute chose est amenée à évoluer. Lutter contre ou râler c’est pour moi s’opposer à un phénomène naturel inévitable et à mon avis perdre son temps.
L’important c’est de pratiquer pour comprendre ce qui nous est enseigné et essayer de transmettre du mieux possible aux élèves.

Certains pratiquants disent ou pensent que les arts martiaux traditionnels sont voués à disparaître car ils sont dépassés ? Quand pensez vous ? Que pouvez vous leur répondre ?

Bien qu’il soit tout à fait louable de se poser la question, je pense que c’est un débat complexe dont la réponse dépend des représentations de chacun.

Les traditions évoluent et je ne pense vraiment pas qu’on pratique aujourd’hui comme à leurs origines tout simplement parce que le contexte, les besoins et les objectifs ont évolué. Je pense notamment qu’ils sont aujourd’hui bien plus sophistiqués et théorisés qu’ils ne l’étaient il y a 400 ou 500 ans. Ils ont vécu un cycle d’évolution constant comme tout élément ayant traversé des siècles d’histoire. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de regarder des décennies en arrière pour s’en rendre compte.
A titre d’exemple, lorsque l’on regarde plusieurs élèves ayant reçu le même enseignement, on observe des divergences de compréhension et de transmission. Il y a donc déjà une évolution de la pratique entre deux générations de pratiquants. Est-ce qu’il y a une disparition pour autant ? Est-ce qu’évolution est forcément synonyme de disparition ?

Cette question pose également le problème de la diversité des interprétations du terme « traditionnel ». Qu’entend-t-on par « traditionnel » ? Parle-t-on de techniques ? De principes ? De disciplines ? De méthodes d’enseignement ? D’état d’esprit ? De règles ? Chacun possède sa propre définition en fonction de son vécu. Il n’y a pas de définition commune à l’ensemble des pratiquants. En fonction de la définition que l’on met derrière on peut répondre positivement ou négativement. Par exemple, si on parle de forme technique, il ne fait aucun doute que celles que nous employons aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’il y a 50 ans, 100 ans ou 2 siècles auparavant et ne seront pas les mêmes que demain. Ce qui est, à mon avis, positif car cela signifie qu’ils ne sont pas figés et restent fidèles à la notion d’adaptabilité qui est prépondérante dans les arts martiaux.

Que signifie  « traditionnel » ? C’est finalement un discours sans fin où chacun avancera ses propres arguments en fonction du sens qu’il met derrière.

La dérive c’est que ce terme est parfois utilisé à outrance pour prêcher sa paroisse et dénigrer les autres formes de pratique pour tenter d’attirer le public. Il y a encore aujourd’hui de nombreux débats pour comparer et opposer les arts martiaux nommés « traditionnels », des sports de combat ou nouvelles disciplines qui voient le jour. Or, pour juger d’une pratique il faut l’avoir pratiquer suffisamment longtemps pour en établir les contours.

Ce qui me dérange c’est qu’on se réfère régulièrement à la face visible de l’iceberg, la partie médiatique et populaire. Pourtant, il y a de nombreux enseignants peu médiatisés, voire absent de la strate médiatique qui continuent de proposer un travail de qualité, que ce soit dans le domaine du sport, des budos ou autres.
On gagnerait bien plus à partir à leur recherche pour échanger, partager et progresser ensemble que de mettre tout le monde dans le même panier. Ce sont les individus qui font la qualité d’une discipline  ou d’un enseignement et non les disciplines qui font des individus des personnes de qualité.

Pour terminer, je dirais qu’il faut faire confiance aux jeunes générations. Certes, il y aura des évolutions, certes ils transmettront via le filtre de leur individualité et alors ? L’idée de la transmission c’est de donner les outils pour que nos élèves puissent s’exprimer librement, improviser, faire face à l’imprévu, grandir avec son individualité, et non de les enfermer dans un moule rigide qui doit être conforme à l’idée que nous nous faisons de la « tradition ».

En tant qu’enseignant, ma hantise c’est que mes élèves deviennent une copie conforme de moi-même. Mon souhait le plus profond c’est qu’ils s’approprient ce que je leur enseigne, s’en imprègnent, le digèrent, le remettent ensuite en question et, qu’un jour, ce qu’ils expriment ne soit pas du « Alex » mais tout simplement l’expression d’eux-mêmes. « 

Entretien complet sur le site de Julien Boucher: N’hésitez pas à également parcourir l’ensemble des articles et entretiens présents sur le site de Julien.

Pour aller plus loin:

10 Commentaires

  • Jean Luc DUREISSEIX

    Konnichiwa Alex,
    Une réflexion bien proche de la mienne surtout en ce qui concerne la notion de traditionnel. Pour moi, les arts martiaux vont et doivent continuer à évoluer, à s’adapter car c’est le fondement même de leur existence, de leur survie. Il y a eu beaucoup d’évolution, ne serait-ce qu’au niveau du fonctionnement du corps humain tant physique que psychique et il faut en tenir compte dans notre enseignement. Bien sûr, cela démystifie beaucoup de choses, beaucoup de soi-disant secrets, mais c’est une excellente chose. Il y a bien d’autres sujets à aborder, telle que l’étiquette souvent trop rigide ou n’ayant aucun sens dans notre civilisation, les systèmes de progression, etc… Mata ne Jean Luc

    • Konnichiwa Jean Luc,

      Merci pour ton retour :-). C’est un sujet complexe sur lequel je te rejoins et qui mériterait effectivement que l’on s’y attarde davantage pour traiter l’ensemble des éléments que tu cites.

      Mata ne,
      Alex

  • Ping : Les arts martiaux traditionnels sont-ils voués à disparaître? – KYUDOJO-MITSU-YAMA

  • Bel article, je rejoins ce point de vue. Les choses bougent car elle vivent. Tant que les arts martiaux évolueront ils resteront vivant.

    • Bonjour,

      Merci pour votre lecture et votre retour. C’est une question complexe et je vous rejoins sur le fait que tant qu’il y a de l’évolution et du mouvement il restera aux AM encore de belles années à venir :-D. Ce serait d’ailleurs paradoxal que les AM se figent alors que la base de leur étude reste le mouvement…

      Bon weekend.
      Aexandre

  • Ping : A lire et à voir en Mai 2019 – NicoBudo

  • Bonjour,
    L’analyse est très pertinente sauf qu’à mon sens, et c’est un avis purement personnel, il faut être un peu opportuniste. Le pessimisme ne fera rien avancer de même que l’optimisme. Bien entendu que les arts martiaux évoluent, c’est tout à fait naturel. A mon sens, il faut simplement faire prendre conscience au pratiquant le but recherché par l’art martial qu’il pratique. En d’autres termes, quelle en est sa finalité … Tout est bon à condition qu’on respecte un cadre culturel, essence de la pratique. Par exemple, un karatéka qui n’aura pratiqué de la compétition sportive kata n’aura peut être (ou peut être pas) développer aucun contenu dans sa formation de karatéka. Cela va être dépendant de leur formation et de leurs formateurs. Faire du kata pour du kata n’amène aucun sens à la pratique. Faire du kata, l’appliquer en contexte réel, comprendre l’utilisation des techniques, travailler les ressentis sur le corps … me paraît plus approprié pour une discipline martiale. Cette forme de travail, peut être elle passera en compétition ou peut être pas? Tout dépend de la volonté du formateur. Former un karatéka ou un sportif qui utilise un module du karaté ….

    • Bonsoir,

      Tout d’abord merci pour votre lecture et votre retour. Je rejoins votre propos sur le sens de la pratique qui est à mon avis fondamental, tant pour la transmission que pour l’apprentissage. Pour autant l’une des difficultés me semble être que chaque enseignant possède sa propre définition du sens et de la finalité, qui évolue au fil de sa progression. A cela se rajoute également le but recherché par l’élève qu’il est important d’identifier pour pouvoir le guider convenablement dans sa recherche mais aussi l’amener à évoluer dans sa conception de la pratique. Mais effectivement, sans une conscience claire et précise à propos du sens de la pratique et du cadre culturel, il est évidemment difficile de former convenablement les élèves.

      En vous souhaitant une agréable fin de journée,
      Bien cordialement.
      Alexandre

  • A mon humble avis ,les arts martiaux sont des technologies de combat et comme toute technologie si elle n’est pas mise à jour elle sera appelée à disparaître. De façon pratique il faut adapter les enseignements à notre époque .En revanche mettre à jour les enseignements ne signifient pas que les arts martiaux sont obsolètes çà fait juste partie du processus d’évolution dans la vie.

    • Bonsoir,

      Effectivement, l’adaptation de l’enseignement aux profils et besoins des élèves d’aujourd’hui est importante. Pour autant, l’enjeu majeur se trouve très certainement dans la recherche d’une adaptation qui allie le savoir des anciens dans un cadre bien différent de celui de leur création. Sans une réflexion profonde sur le sens de nos pratiques, leurs enjeux de formation et la richesse de leur contenu, il y aura très certainement une grande perte de la richesse de nos pratiques comme le montre les pratiques s’étant essentiellement réorientées dans une dimension sportive.

      En vous remerciant de votre lecture et de votre retour,
      Bien cordialement.
      Alexandre

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