Budō, apprentissage et transmission: le rôle de l’élève

On attribue généralement à l’enseignant le rôle le plus important dans l’apprentissage mais on oublie souvent que l’élève à également un rôle majeur à jouer dans sa formation.  Lorsque l’on parle de rôle actif, on pense généralement à l’entrainement personnel, qui est bien sûr un élément important dans le cheminement de l’élève. Toutefois il est un certain nombre d’éléments dont il est indispensable de prendre conscience pour pouvoir profiter pleinement d’un enseignement. S’entrainer chez soi est une chose mais l’essentiel des informations, nous permettant de progresser et travailler seul, sont données par notre enseignant au dojo. Il y a quelque mois je vous proposais une première réflexion intitulée Budō, apprentissage et transmission: de l’élève actif à l’élève acteur de sa progressionje vous propose donc aujourd’hui une seconde partie accès sur le rôle de l’élève dans sa formation.

Différence culturelle entre la France et le Japon

Au cours de ces dix dernières années, j’ai eu l’occasion de multiplier les rencontres avec divers experts, pour la plupart non francophone. Si la découverte de leur pratique est un tremplin pour ouvrir de nouveaux horizons, il est important d’essayer de profiter un maximum de chaque moment d’échange pour apprendre et progresser. Travailler avec un expert dont nous ne parlons pas la langue pourrait sembler difficile au premier abord, mais la pratique martiale est avant tout un langage du corps et permet d’apprendre même lorsque nous faisons face à cette barrière linguistique.

Cours privé avec Kono Yoshinori

Cours privé avec Kono Yoshinori

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Culturellement, nous avons tendance à solliciter régulièrement notre enseignant pour lui poser des questions sur l’exécution du mouvement, l’intérêt de cette situation d’étude etc… Durant le voyage au Japon en 2013, les experts japonais que nous avons suivis proposaient généralement une situation d’étude et les élèves se plongeaient dans cette pratique. L’enseignant démontrait, les élèves exécutaient et lorsque l’enseignant percevait une chose à corriger chez l’élève, il venait lui faire ressentir son travail et l’aiguiller dans son cheminement. Il fallait pratiquer pour comprendre et il aurait été mal venu d’appeler un senseï pour lui poser une question tant qu’il ne nous en avait pas fait la demande. J’ai par exemple le souvenir d’avoir passé plus de quarante minutes avec à un des élèves avancé de Kuroda senseï pour étudier un mouvement spécifique du premier kata de Jutte. Il n’était pas question de poser de questions à senseï s’il ne nous le demandait pas, le sempaï étant présent pour nous guider dans le mouvement et senseï venant nous corriger lorsqu’il l’estimait nécessaire.

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La difficulté du rôle d’élève

En tant qu’élève nous avons parfois tendance à nous en remettre pleinement à l’enseignant au point d’avoir parfois une attitude attentiste quant à l’enseignement reçu. Il est pourtant un certain nombre de choses que l’enseignant ne peut faire à notre place. Être élève est loin d’être un rôle passif et l’enseignant ne peut être derrière nous durant tout le cours. D’autant plus lorsqu’il y a du monde sur le tatami. Si l’on considère sur un cours de deux heures que l’enseignant a face à lui une quinzaine d’élèves et qu’il se doit de découper son temps d’enseignement pour chaque personne présente, il y aura de grande chance que l’élève passe une grande partie de son cours en autonomie.

Lors des stages de Mochizuki senseï je l’ai régulièrement entendu parler de l’importance pour un élève de développer la capacité à « voler » les techniques lui étant démontrées. Si cela n’est pas toujours évident, surtout lorsque l’on débute, ces paroles font appelles à la capacité pour un élève d’être autonome, de ne pas être dans l’attente, d’essayer de comprendre par soi-même dans un premier temps et c’est, je crois, un point essentiel pour progresser. En cela réside la difficulté d’être élève, suivre l’enseignement et les conseils de son enseignant tout en gardant en tête qu’il y a une part d’autonomie et d’effort personnel à fournir pour notre progression.

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Apprendre à être autonome

Être élève c’est avant tout savoir se prendre en main. C’est la capacité à tout mettre en œuvre pour comprendre et maîtriser les situations qui nous sont proposées. Si l’enseignant fait son possible pour permettre à l’élève de développer cet aspect nécessaire à l’étude, ce n’est pas une chose innée.  Elle s’acquière avec le temps et la pratique. Sans réelle prise de conscience et effort de notre part face à la marge de recherche personnelle qui nous est accordée notre progression s’en retrouvera limitée.

Voici une liste non exhaustive d’éléments à développer chez nos élèves dans l’idée de les rendre autonome et dont l’élève doit prendre conscience pour pouvoir profiter pleinement de chaque moment d’apprentissage. Cette liste est inspirée d’une réflexion de Philippe Meirieux, transposée à la pratique des budos:

-être autonome c’est être capable d’écouter et comprendre les consignes proposées par l’enseignant, sans chercher à les réinterpréter. Dans le cas contraire, il ne faut pas hésiter à demander quelques précisions à notre enseignant pour éviter toutes erreurs d’interprétation, que ce soit pour nous ou notre partenaire. Il est important pour l’élève de mesurer l’état de sa compréhension dans la situation proposée et chercher à être en accord avec ce que l’enseignant propose.

-être autonome c’est être capable de se fixer des objectifs, se donner les moyens d’y parvenir et d’évaluer les résultats. Il arrive que notre enseignant nous répète régulièrement un certain nombre de consignes, durant l’année, que nous ne mettons pas en place, même si nous en avons l’impression. En tant qu’élève notre rôle est donc de relever les remarques de l’enseignant lorsqu’elles sont récurrentes, et se fixer l’objectif de répondre à ses attentes à chaque instant tant que cela ne vient pas naturellement.

-être autonome c’est également chercher à surmonter une difficulté, sans avoir toujours recours à l’enseignant. S’il n’intervient pas c’est qu’il y a une raison. Généralement il nous laisse chercher par nous-même avant de venir nous apporter quelques corrections. Il est donc important lorsque nous sommes élèves de ne pas chercher à contourner une difficulté mais de s’y confronter et de persévérer. « L’exercice est difficile et il ne faut pas chercher à contourner cette difficulté. L’important n’est pas de réussir mais de chercher à étudier le fonctionnement du corps dans cette difficulté. C’est en vous exerçant de cette façon qu’un jour, peut-être, vous y arriverez » Hino Senseï.

-être autonome c’est être capable de développer une réflexion et la capacité à rechercher par soi-même, une fois que les consignes ont été données.

-être élève c’est également chercher à analyser un échec, chercher quelles en sont les raisons puis essayer d’y apporter des réponses pour le surmonter. L’enseignant apportera également des éléments de réponse favorable à notre réussite mais il ne pourra en aucun cas faire le travail à la place de l’élève.

-être autonome c’est aussi être capable d’apprendre, d’identifier lorsque nous sommes dans la bonne direction ou non. C’est un aspect important qui nous évite d’être dans l’erreur et induire en retour nos partenaires en erreur. Une remise en question de notre travail, notre attitude, nos perceptions sera donc nécessaire à chaque étape de l’apprentissage afin d’apporter continuellement des éléments de réponse aux difficultés que nous rencontrons.

-étudier c’est aussi prendre conscience qu’un pratiquant ayant moins d’années de pratique peut avoir compris certaines choses mieux que nous et donc s’ouvrir aux remarques de nos partenaires quel que soit leur niveau. Le nombre d’années de pratique n’étant pas forcément gage de meilleure compréhension. Il arrive parfois que les débutants comprennent plus rapidement la situation demandait car ils ne réinterprètent pas les consignes en fonction de leur vécu et leur représentation. Il est donc important de prendre conscience que nos représentations interfèrent parfois dans la réelle compréhension du travail proposé et que chaque partenaire, quelque soit son niveau, peut apporter sa pierre à l’édifice dans notre progression.

– être élève, c’est aussi savoir se mettre au travail en l’absence du professeur, être capable d’étudier sans avoir besoin de sa présence à nos côtés. Lors de notre voyage au Japon, les élèves de Kuroda senseï arrivaient généralement en avance pour monter sur le tatami et réviser avant le cours. C’est une chose que senseï apprécie et que nous réalisons également lors de ses venues en Europe. Pour un cours de 2h30, il arrive fréquemment que nous travaillons trente minutes avant le cours, généralement sous le regard de senseï qui en profite pour venir travailler avec les élèves.

Bien évidemment, cette réflexion ne fait pas gage de vérité et fait suite à une interrogation actuelle sur le rôle d’apprenant afin de pouvoir bénéficier au maximum de chaque moment d’étude au dojo.

Photo Thomas Taragon

Photo Thomas Taragon

 

 

4 Commentaires

  • DUREISSEIX Jean Luc

    Konbanwa Alex,
    Réflexion très intéressante sur un sujet important qui est difficile à faire saisir aux élèves.Ce sont des notions que je leur répète régulièrement mais il y a quand une évolution chez les élèves qui attendent beaucoup de leur enseignant et ont du mal à comprendre que c’est à eux de faire l’essentiel. C’est malheureusement un phénomène de société qu’il sera difficile à inverser, du moins pour la majorité des élèves!
    Mata ne.
    Jean Luc

    • Konnichiwa Jean Luc,

      je suis d’accord avec toi et c’est vrai que c’est un sujet qu’il n’est pas évident de faire saisir aux élèves, cela dépend du niveau d’implication de chacun. Selon les élèves, les réactions et l’autonomie face à l’apprentissage sont très diverses. Tout dépend de leur intérêt pour la pratique, leur maturité et où ils souhaitent placer le curseur de leur progression. Après à nous en tant qu’enseignant de persévérer pour leur transmettre un maximum d’autonomie dans leur cheminement tout en étant disponible lorsqu’ils en ont besoin, ce qui est n’est pas toujours évident :-).

      Mata ne,
      Alex

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